Chroniques vingt-et-unièmes — Tout se mélange — 15 avril 2024


 Tout se mélange


Quentin sirote un diabolo menthe dans une brasserie du quartier de l’Opéra. À la table voisine, on y parle d’ours des Pyrénées et la conversation est vive entre les débatteurs. Il y a sans doute parmi eux un éleveur de brebis venu chercher la pluie à Paris.

Quentin aime les ours. Il milite aussi pour la libre circulation des loups dans les campagnes. Mais peut-être s’est-il forgé son opinion parce qu’il n’est pas confronté à la présence quotidienne de ces prédateurs.

La cohabitation entre espèces est un sujet sensible, et particulièrement entre l’espèce humaine et les autres. Nouvelle illustration avec ce qui se passe en Tanzanie : 20 000 nomades masaï du nord du pays ont été expulsés de leurs terres ancestrales du Ngorongoro (une aire protégée classée au « patrimoine mondial de l’humanité ») afin d’y préserver la faune. 

Autre exemple avec le Botswana : l’Allemagne a récemment critiqué la chasse à l’éléphant qui s’y exerce dans un but de « régulation ». Il est vrai que leur population y a triplé depuis trente ans, atteignant le nombre de 130 000, soit la moitié de ceux qui s’ébattent sur le continent. Le Botswana a vertement rétorqué qu’il était prêt à expédier 20 000 de ces pachydermes dans les belles forêts d’Allemagne pour que celle-ci puisse ainsi les cocooner.

Tout est lié, en fait. On ne peut pas exiger des autres pays qu’ils préservent leurs animaux sauvages si nous-mêmes éradiquons les loups et les ours dans nos territoires.

Quentin hoche la tête. Derrière lui, les discussions sont aussi agitées. Et apparemment, c’est la condamnation de la Suisse par la Cour européenne des droits de l’homme qui est au centre du débat. Elle était poursuivie par une association de 2 500 femmes et selon l’arrêt rendu, la Confédération helvétique « a manqué à ses obligations, faute d’avoir agi en temps utile et de manière appropriée et cohérente » pour protéger celles-ci des conséquences du changement climatique. Quentin a suivi cette bataille judiciaire et a même écouté une militante de « L’Affaire du siècle »  – un regroupement d’associations à l’origine de nombreux recours dans le monde – qui estime que les États sont dans l’illégalité puisqu’ils ne se plient pas aux jugements de la CEDH – ou de leur plus haute juridiction comme la France en 2021. Il faudrait donc d’après elle « combattre l’État par tous les moyens ». Jean-Bernard, le père de Quentin qui écoutait aussi, s’est alors énervé. « Quels moyens ? Les armes ? Les bombes ? N’est-ce pas une incitation au terrorisme ? En Russie, on se retrouverait dans une “colonie pénitentiaire à régime sévère” pour moins que ça… »

Mais près du bar, on s’invective à propos de Michel Sardou qui va recevoir prochainement les insignes de Grand officier de l’ordre national du Mérite. Le père de Quentin – toujours lui – a osé saluer « une décision courageuse qui va à l’encontre de la pensée ambiante. » C’est n’importe quoi, se dit-il. Et les féministes sont écœurées, surtout Sandrine Rousseau qui estime pourtant que « le patriarcat va tomber », qu’il « vacille déjà ». « Un peu comme le capitalisme », a renchéri Jean-Bernard. « Ça fait bientôt 50 ans qu’on dit qu’il est à terre ». Mais Quentin ne comprend pas : apparemment, il y a quand même eu 400 000 spectateurs qui se sont déplacés pour les 80 représentations de la tournée « Je me souviens d’un adieu » de Sardou.

Quentin fixe sa montre et, en même temps, la bouille ronde et satisfaite de Greta Thunberg tatouée sur son poignet gauche. La bouille de Greta Thunberg… Celle-là, il ne peut pas l’éviter, il regarde l’heure cinquante fois par jour, et il y a toujours cette image…

Il pense à se faire détatouer, une pratique en très nette augmentation. Normal : un tiers des jeunes de moins de 35 ans sont aujourd’hui tatoués, et il leur arrive – ce qui est plutôt sain – de changer d’avis. Et puis pour un psychologue, « les personnes qui se font détatouer sont bien dans leur époque » ; ce serait même la marque « de la force de leur volonté individuelle ». Pour moi, ce sont des « girouettes », a commenté encore Jean-Bernard, « mais c’est bon pour le PIB : tatouer, détatouer, ça crée de l’activité dans le pays… »

Quentin se demande pourquoi les paroles de son père lui trottent en permanence dans la tête.

Je devrais penser à autre chose, changer de décor…

Davantage de calme dans la brasserie. Certains ont pris le pari de se baigner dans la Seine après les JO. Là ce sera une question de cohabitation avec les poissons. Même si le fleuve n’est pas aussi propre qu’on le souhaiterait, il compte 35 espèces de poissons aujourd’hui alors qu’ils avaient presque disparu il y a 50 ans.

Quentin attendra peut-être un peu. Et si cela se faisait avec Ludivine, ce serait parfait. Mais où est-elle en ce moment ? Avec Benoît ?

Le bruit redouble dans la brasserie, et tout se mélange. Il ne sait plus si on y parle d’ours, d’éléphants, de dérèglement climatique, de Michel Sardou, de Sandrine Rousseau ou de la Seine.

Mais ce n’est pas nouveau : le monde ne serait pas le monde sans ce mélange…



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

15 avril 2024

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