Chroniques vingt-et-unièmes — Les choses ont changé — 15 janvier 2024


  Les choses ont changé


C’était annoncé, mais c’est tout de même une surprise : Gabriel Attal, à 34 ans, devient le plus jeune Premier ministre de la Cinquième République. Xavier referme sa tablette. Du bruit parvient de la cuisine et quelques minutes plus tard, Émeline apparaît, apportant deux cafés sur un plateau. Le déjeuner vient de se terminer, elle a deviné ce que Xavier regardait.

—  Gabriel Attal, je lui souhaite du courage avec tous ces problèmes. Il est vraiment jeune, tu ne trouves pas ?

Xavier ne bronche pas, se contentant de dire :

—  Quand Bonaparte a pris le pouvoir le 18 Brumaire, il avait à peine 30 ans… 

—  Ce n’est pas pareil, tout est beaucoup plus compliqué aujourd’hui. 

—  Tu crois ? Si je me réfère à mes souvenirs d’école, le Directoire, auquel Sieyès a mis fin en instaurant le Consulat avec Bonaparte à sa tête, c’était la pagaille : des complots royalistes et jacobins de tous les côtés, l’ennemi aux frontières, le soulèvement en Haïti, les troubles persistants dans l’Ouest, les assignats dépréciés et refusés par les commerçants, les pénuries alimentaires, l’insécurité sur les routes, et j’en oublie… Comparé à cette époque, ce qui se passe aujourd’hui est un vrai paradis…

—  Tu exagères, on ne peut pas juger les époques avec nos critères. Attal, lui, il va devoir gérer les élections européennes et les Jeux olympiques… 

Une légère moue de Xavier.

—  Oui, enfin, ce n’est pas la même chose… Mais en parlant des Jeux, on entend déjà la petite musique, chacun y va de ses revendications. Ça me rappelle les passages à l’An 2000 et à l’euro. Dans quelques années, quand on demandera à certains ce qu’ils faisaient pendant les Jeux qui, je le précise, n’ont pas eu lieu en France depuis un siècle, du moins ceux d’été, ils répondront : « Bah… j’étais en grève ».

—  Oh, non ! J’espère qu’on n’en arrivera pas là…

—  Moi aussi : le pire n’est jamais sûr. Mais revenons à Gabriel Attal. Tu as vu ce que dit EELV ? Il enverrait des « signaux réactionnaires ». Fascinant… Certains ont un sixième sens pour détecter ce genre de signaux. 

—  Arrête de te moquer… (Émeline n’aime pas quand son mari prend ce ton.)

—  Et j’ai entendu un homme politique dont je ne citerai pas le nom, par respect pour sa dignité, l’appeler à baisser les impôts, à mettre plus de moyens dans les services publics, donc d’augmenter les dépenses de l’État, le tout en diminuant la dette. Là, ce n’est même plus la quadrature du cercle… On est bien au-delà !

En fait, pense Xavier en référence à la course du monde qui vient de partir de Brest, être le chef du gouvernement, quel que soit son bord, c’est comme naviguer sur un Ultim au-delà des soixantièmes. Toute l’énergie est consacrée à éviter les tempêtes, les vagues monstrueuses, les icebergs et les débris flottants, alors qu’il y a un cap à maintenir. 

Et, paraît-il, il s’agit d’un gouvernement resserré, une formule qui a beaucoup servi sous la Cinquième République sans être toujours suivie d’effet. À comparer avec la quinzaine de membres du gouvernement américain pour un pays autrement plus vaste et puissant, avec, il est vrai, des pouvoirs étendus accordés aux gouverneurs des États.

Et Xavier s’interroge sur ce qui va se passer maintenant dans une France que l’on estime – depuis longtemps – très fracturée. Pour lui, l’« ultracrépidarianisme » va encore sévir et d’ailleurs sévit déjà, c’est-à-dire cette pratique consistant à tout expliquer alors qu’on ne sait rien. Un sport très répandu sur les télés, radios et réseaux sociaux où s’expriment beaucoup de personnes au-delà de leur domaine de compétence.

Et le tir aux pigeons par des professionnels du genre très exercés à cet art va pouvoir commencer contre les ministres fraîchement nommés. Une des premières salves s’est déclenchée contre la toute nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, qui a inscrit ses enfants dans le privé, faute de professeurs dans le public. Ses détracteurs lui demandent maintenant de régler cette question et invoquent le manque chronique de moyens qui décourage les candidats à l’enseignement. Le salaire, bien entendu, est important, mais l’indiscipline dans les classes et les violences et intimidations dont les enseignants sont victimes jouent peut-être aussi leur rôle, surtout depuis les récents assassinats de professeurs. Les parents d’élèves sont les premiers à se plaindre de la pénurie d’enseignants, mais pour Xavier il n’est pas aberrant de penser qu’ils portent une part de responsabilité dans l’éducation de leurs enfants et que le problème de discipline et de respect à l’école leur est en grande partie imputable.

Il se tait à présent, ce qui peut également inquiéter Émeline.

—  Tu ne dis plus rien…

—  Non, je m’aperçois que les Ultims sont au large du Brésil. Les difficultés vont bientôt commencer…



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

15 janvier 2024

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