Chroniques vingt-et-unièmes — Ne pas agiter ces questions-là — 25 décembre 2023


 Ne pas agiter ces questions-là


Elle n’a fait qu’une brève apparition au dîner de Noël. Xavier et Émeline avaient pourtant décoré la maison en grand pour essayer de lui ôter toutes les idées noires qui la travaillent depuis deux semaines. Peine perdue. Ludivine a regagné sa chambre dès que la bûche glacée a été servie, jetant un regard désabusé sur les paquets emballés, symboles à ses yeux de la frénésie consumériste qui ravage la planète. Car ses parents ont ignoré son injonction de ne pas lui offrir de cadeaux, coupables selon elle de contribuer à l’effet de serre. Elle a brandi pour l’occasion une étude montrant que chaque foyer français dépense en moyenne 568 euros pour célébrer Noël.

C’était bien là le nœud du problème : le changement climatique dont on a tant parlé il y a une quinzaine de jours lors de la COP28 de Dubaï, laquelle, toujours d’après Ludivine – et en reprenant l’expression de Xavier – a « accouché d’un lézard du désert ».

Ils en sont arrivés à la même conclusion, mais pour des raisons opposées.

Les dernières heures de cette conférence ont été mouvementées. Avant le communiqué final, on a assisté à un bras de fer entre les pays occidentaux – ceux qui consomment le plus – soutenus par les associations environnementales, qui réclamaient une résolution prévoyant la sortie des énergies fossiles, et les pays producteurs arabes – ceux qui consomment le moins compte tenu de la faiblesse de leur population –, qui s’y refusaient. Ces derniers, appuyés, paraît-il, par les « lobbies pétroliers », avaient beau jeu d’affirmer qu’ils ne font que répondre à la demande, et qu’avant de réduire la production, il faut bien commencer par limiter la consommation. Car la demande est là, toujours là. Du bon sens, pourrait-on dire. Mais aussi le même dialogue de sourds qu’on entend dans les COP depuis 1995, l’année de la première à Berlin.

Le communiqué final s’est donc borné à appeler à une « transition » vers l’abandon des énergies fossiles – le gaz étant toutefois assimilé à une énergie de transition. Un communiqué salué comme « historique » par le président de la COP, Sultan al-Jaber, bien qu’il ne soit pas contraignant, parce que pour la première fois on y mentionne les termes d’« énergies fossiles ». 

Il faut savoir se contenter de peu, se dit Xavier. 

Pour Ludivine, en revanche, ce n’est que l’expression du « néolibéralisme » ambiant, toujours plus nourri par une quête sans fin du profit conduisant l’humanité à sa perte. 

Xavier, lui, a une tout autre vision. Quelles que soient les bonnes intentions, le monde est tellement chaotique qu’il est impossible d’aboutir à des compromis raisonnables permettant de se prémunir d’un danger. Et on arrêtera d’extraire les énergies fossiles que lorsqu’il n’en existera plus dans le sous-sol de la Terre.

 D’ailleurs, dans leur ensemble, les pays de la planète sont loin de partager cette frayeur vis-à-vis du réchauffement climatique. Il suffit de regarder quelques faits récents dans l’actualité internationale.

D’abord, l’accumulation ces dernières années de découvertes de nouveaux champs pétrolifères dans l’État de Tabasco au Mexique. Les réactions à ces découvertes en disent long sur les comportements vis-à-vis des énergies fossiles. Loin de provoquer des oppositions, ces gisements, qui pourraient compenser la perte de débit du site historique de Cantarell situé dans la baie de Campeche, suscitent localement l’enthousiasme de la classe politique et des populations.

Et que dire des tensions entre le Venezuela et le Guyana à propos d’une région, l’Essequibo, riche en pétrole dans le second, le premier se souvenant soudainement que cette région, qui représente tout de même les deux tiers de la superficie du Guyana, devrait lui appartenir, et le pétrole lui revenir, même s’il n’a pas la capacité de l’exploiter sur son propre territoire ?

Ou l’Angola qui se retire de l’OPEP parce qu’il refuse de réduire sa production de pétrole ?

À cela, il faut ajouter que la consommation de charbon s’envole, en augmentation de 4 % sur un an, la majeure partie de la demande provenant des pays émergents.

On est donc loin dans ces pays, et ils ne sont pas les seuls, de partager une « vision de sortie du pétrole », comme on aime à le proclamer en Occident. 

Mais c’est le soir de Noël, et il n’est sans doute pas opportun d’agiter ces questions-là. Le reste de l’année suffira pour ça. 

—  Les jours ont commencé à rallonger, dit Émeline en débarrassant la petite table. 

Bonne nouvelle : moins d’éclairage, moins de chauffage, moins de Co2, voilà qui tirera peut-être Ludivine de sa tristesse.



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

25 décembre 2023

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