Chroniques vingt-et-unièmes — En sortir — 11 décembre 2023


 En sortir


Ce n’était pas la réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, mais tout de même, ils ont jugé utile de reformer, un peu plus tôt que d’habitude, leur cercle d’officiers en retraite dans le bistrot du Trocadéro.

Car l’actualité militaire ne fait pas de trêve. Habitués à évoquer la situation en Ukraine depuis quelques mois, c’est un nouveau champ d’opérations qui les préoccupe. 

Charles a fini son croissant. Il est formel : le Hamas a joué son va-tout le 7 octobre. Pour lui, il faut analyser le contexte pour le comprendre : Israël reconnu par les Émirats, le Qatar, le Maroc, et bientôt peut-être par l’Arabie ; le Hamas, isolé, lâché par tous les pays « fréquentables », sauf l’Iran, le paria. Une position intenable face à la puissance israélienne. Alors le Hamas a tenté le coup de poker : lancer une attaque frappant les imaginations, tant par sa rapidité que par son horreur, pour provoquer une réaction disproportionnée d’Israël susceptible de retourner l’opinion internationale en faveur de la Palestine.

Mais le pari est loin d’être gagné, l’opinion internationale est très divisée, et la France, comme toujours, importe les lignes de fractures.

—  C’est plausible, admet Ludovic.

Lui enchaîne sur la polémique autour des Insoumis. Mélenchon n’a pas parlé d’« actes terroristes » mais de « crimes de guerre », sans doute parce que dans son esprit, entre Israël et le Hamas, il s’agit d’une guerre conventionnelle opposant deux armées ennemies. Sauf que ce n’est pas le cas. Le Hamas qui se bat pour la Palestine et la destruction d’Israël n’appartient à aucun État reconnu et, par définition, ne se sent aucunement entravé dans ses actions par les conventions de Genève définissant entre autres les crimes de guerre, ou le Statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale.

—   Et il y a cette rengaine sur l’impréparation d’Israël, interrompt Charles. On dit que Netanyahou savait mais qu’il n’a rien fait. On a raconté la même chose pour Bush à propos du 11 septembre, et pour Roosevelt après Pearl Harbour.

—  Tu es bien placé pour en parler… sourit Jean-Bernard.

—  Tout à fait… dans les services secrets, on ne cesse de remonter des infos sur des dangers potentiels – c’est notre boulot. Les rapports sont factuels et c’est aux gouvernants de les analyser, de décider, en tenant compte aussi des autres éléments dont ils disposent dans leurs échanges diplomatiques.

—  Tu te dédouanes sur les dirigeants… réplique Ludovic.

—  Pas du tout ! Avec les infos qu’on leur remonte, les gouvernants ont devant eux des dizaines de scénarios possibles de menaces pour la sécurité du pays. Et ils doivent choisir. C’est facile après coup de dire que le scénario qui s’est réalisé, ils l’avaient sous la main. Sauf qu’il y en avait pléthore… C’est toute la complexité…

Jean-Bernard fait signe au serveur pour une autre tournée de café et commente :

—  Moi, ce qui me choque, c’est tous ces journalistes tués à Gaza. Plus de soixante !

—  Mais est-ce qu’on a besoin d’une telle médiatisation ? demande Charles. Si on avait eu la même couverture pendant la bataille de Stalingrad, le nombre de journalistes morts aurait été bien plus élevé…

Ludovic lève les yeux au ciel :

—  On n’est plus à cette époque…

—  Mais est-ce qu’il existe une solution ? interroge Jean-Bernard.

Ludovic fait semblant de réfléchir et répond :

—   Pas facile. Je vais vous raconter une histoire de science-fiction. Imaginez que dans un univers parallèle, la puissance militaire et économique du monde soit toujours restée en Asie. Imaginez aussi que lors d’une guerre atroce avec les Japonais, les Chinois aient perpétré un génocide contre les Tibétains, et imaginez enfin que dans un élan général de repentir après la guerre, la communauté internationale ait décidé de créer un État pour les Tibétains rescapés, un État à eux, et que cet État, on ait choisi de l’implanter dans une région périphérique et peu développée du globe, par exemple la Bretagne –  on est dans un univers parallèle, je le répète… Alors, que diraient les Bretons ? 

Jean-Bernard éclate de rire : 

—  On a besoin en effet de beaucoup d’imagination !

—  Peut-être, mais ça permet de saisir l’enjeu. Dans ce cas, les violences entre les Tibétains et les Bretons qui refuseraient l’occupation de leur territoire ne seraient pas de la faute des Tibétains, ni des Bretons, mais des Chinois en premier lieu, et ensuite de la communauté internationale qui aurait fermé les yeux sur le génocide. 

—  Pas mal, approuve Charles, mais on ne change pas le passé… Et pour le moment, il faut en sortir ! 

—  C’est la seule chose qu’on puisse dire, termine Jean-Bernard : il faut en sortir… On est tous d'accord… Mais comment ?



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

11 décembre 2023

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