Chroniques vingt-et-unièmes — Quelque chose de vrai — 30 octobre 2023


 Quelque chose de vrai 


—  Le télétravail marche très bien en France. Je viens de lire le témoignage d’un cadre adepte du surf, qui s’est installé sur la Côte Basque, et qui organise ses réunions en visio en fonction de l’heure des marées. N’est-ce pas merveilleux ? 

Émeline repose sa tablette sur la table de la cuisine.

—  Oui, répond Xavier, et on dit également que lors des entretiens d’embauche des jeunes, le télétravail est leur première exigence. Et il faudrait donc que « les entreprises s’adaptent à la nouvelle génération ». Ça me fait peur… Les jeunes ne voient pas le piège qui se referme sur eux.

—  Quel piège ? C’est bien, non ? Au moins, les jeunes savent respecter équilibre entre vie professionnelle et vie privée…

—  Ce n’est pas aussi idyllique que tu le penses. Je crois qu’on n’a pas du tout anticipé ce qui peut se passer…

—  Par exemple ?

—  C’est simple. Aujourd’hui, la plupart des entreprises du tertiaire se sont parfaitement organisées pour gérer le télétravail. Et c’est payant en cas de grève des transports. Mais qui les empêchera demain de recruter des collaborateurs à l’autre bout du monde, moins chers et plus malléables à la place de jeunes Français qui ont envie de surfer ? Personne… Et ce sera beaucoup plus facile que de délocaliser des usines comme on le fait depuis trente ans. Et avec l’intelligence artificielle qui va envahir toutes les entreprises, je crains un désastre. Alors, que les jeunes profitent du télétravail tant qu’ils le peuvent, parce que ça ne va pas durer !

—  Tu es trop pessimiste… (Émeline a l’habitude des prévisions catastrophiques de Xavier.)

—  Réaliste, simplement. Et ça souligne encore l’écart comportemental avec ce qui se passe ailleurs. En Israël, par exemple, les jeunes se battent pour la survie de leur pays. Ici, on se bat pour le télétravail !

—  Ça n’a rien à voir. On devrait plutôt parler d’une étude qui vient de sortir : les personnes grosses seraient victimes de discrimination à l’embauche. C’est quand même inquiétant, je croyais que tout ça était fini.

—  Si je peux te rassurer, je pense que ce problème sera réglé dans dix ans.

Émeline fixe son mari, surprise : cette fois, il affiche son optimisme et il a l’air sérieux. Mais elle se méfie de son ironie.

—  Comment ça ?

—  Une autre étude montre qu’aujourd’hui près d’un Français sur deux est en surpoids. C’était un sur quatre il y a dix ans. Et si on continue sur cette tendance –  car il n’y a aucune raison que cette tendance s’inverse –, tous les gens seront en surpoids dans dix ans, ce qui me fait dire que le problème de la discrimination des personnes grosses sera réglé puisque tout le monde sera gros !

—  Je n’avais par vu la question sous cet angle…

Émeline s’abstient de tout autre commentaire. Quand Xavier part sur un délire, on ne peut pas l’arrêter. Il se nourrit même de toutes les objections. Heureusement, il préfère changer de sujet :

—  Puisqu’on balaie large, 45 % des Français, selon un sondage, ont l’intention de se faire incinérer contre 19 % qui veulent être inhumés.

—  Ça ne fait pas un compte… Et les autres ?

—  Ils ne souhaitent pas mourir ! dit-il en riant.

—  Très drôle…

—  En fait, poursuit Xavier, c’est peut-être parce qu’ils pensent à la vie après la mort. D’après un sondage, encore, un tiers des Français y croit, et un autre tiers ne se prononce pas. Sachant que ceux qui y croient tableraient plus sur la réincarnation que sur la résurrection. Les jeunes, du moins… Un nouvel effet de la déchristianisation…

—  La réincarnation, je ne suis pas contre…

—  Toi aussi, donc… Moi, il y a quelque chose qui m’a toujours gêné dans la réincarnation…

—  Ah oui ?

—  Pour moi, l’intérêt de la réincarnation est de tirer des leçons de la vie d’avant. Or, ce n’est pas le cas puisque personne ne se souvient de la vie d’avant.

—  Il y a pourtant des témoignages…

—  Non, ce ne sont pas des témoignages, ce sont des phénomènes étranges qu’on attribue à la réincarnation, ce qui n’est pas pareil. Je persiste : à quoi sert la réincarnation si on ne se souvient de rien ?

—  On s’en souvient peut-être inconsciemment, hasarde Émeline, et peut-être que cela influence nos existences…

—  Ce sont ces « peut-être » qui m’ennuient. Tout cela reste au stade des hypothèses et on n’a pas avancé d’un pouce.

—  Ce n’est pas le seul sujet où on n’avance pas.

Voilà au moins quelque chose de vrai, conclut intérieurement Xavier.




FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

30 octobre 2023

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