Chroniques vingt-et-unièmes — Un instant de contemplation — 16 octobre 2023


 Un instant de contemplation 


Le château de Pierrefonds culmine sur une butte dominant la ville du même nom, comme un défi au temps.

Curieuse histoire que celle du château de Pierrefonds. Il a connu les fastes et les ruines, les révoltes et les trahisons. Témoin de la gloire de la France, mais aussi de ses désillusions. Aujourd’hui décor de films et de séries, qui exploitent son charme romantique, quitte à s’éloigner de la vérité. 

Érigé sur une ancienne construction par Louis d’Orléans à la fin du XIVe siècle, il subit les ravages des guerres de religion deux siècles plus tard, puis est rasé sur ordre de Richelieu pour avoir abrité une rébellion. Vendu comme bien national à la Révolution, il est ressuscité sous le Second Empire par Eugène Viollet-le-Duc, en partie sur la fortune de Napoléon III. Une opération qui a constitué en son temps une prouesse architecturale, l’édifice n’ayant pas été rétabli dans sa forme originelle, mais « tel qu’il aurait dû être », selon la propre formule de celui qui l’a fait renaître – expert inégalé des techniques du Moyen Âge. 

Xavier, Sébastien, Émeline et Romane ont pris goût au château de Chantilly l’année dernière, et ont alors décidé de découvrir celui de Pierrefonds. Ce sont des instants de paix, et peut-être de contemplation, volés à l’actualité sauvage, à ces guerres qui s’installent dans le paysage, la plus récente en date étant celle qui oppose Israël au Hamas, et qui, quelle que soit l’issue, ne réglera pas la situation palestinienne.

Juste avant la visite, ils ont pris place à une table dans un restaurant au pied du château, et le mot d’ordre, précisément, est de ne pas évoquer les mauvaises nouvelles.

Mais Romane ne peut s’empêcher de lancer : 

—  C’est fou quand même, tout ce qu’on a inventé depuis un siècle. Et on n’a pas été capable d’éradiquer la guerre…

Xavier ne commente pas le dernier membre de la phrase mais réagit à son début.

—  Tu sais, je ne suis pas sûr qu’on ait tant inventé que ça depuis un siècle. En fait, c’est surtout entre 1850 et 1950 que tout s’est joué : la photo, le cinéma, le télégraphe, le téléphone, le phonographe, la radio, la télévision, l’ordinateur, le train, l’électricité, les sous-marins, la voiture, l’avion, les fusées, le nucléaire, les antibiotiques, les vaccins… tout ce qu’on utilise encore aujourd’hui. Et depuis 1950, qu’est-ce qu’on a vraiment inventé ? Internet peut-être ? Les smartphones ? Mais ce ne sont que des combinaisons ou des améliorations d’inventions déjà existantes. L’innovation n’est pas aussi importante qu’on le croit. Elle concerne surtout les moyens de communication entre les hommes, et bien sûr le divertissement.

—  Même pas l’IA ?

—  Turing en avait posé les principes avant 1950 et conceptualisé cette année-là le test qui porte son nom. Un génie, Turing…

— Bon, bon, intervient Émeline, mais pour en revenir au conflit (Xavier lui lance un regard réprobateur), tout n’est pas que politique. Même si le but du Hamas est la destruction d’Israël, il y a aussi un problème religieux. On est au XXIe siècle. Les religions devraient évoluer… 

Sébastien grimace.

—  Les religions devraient évoluer, je ne sais pas… Ça me semble même une contradiction. Prenons le cas du catholicisme : il n’a cessé d’évoluer depuis les origines. Je pense au célibat des prêtres formellement imposé au XIIe siècle ; au dogme de « l’Immaculée Conception » établi au XIXe siècle, qui, au passage, ne signifie pas que Marie a enfanté sans contact sexuel, mais qu’elle est née « sans tache », comme son fils, par la grâce de sa mère Anne ; et également à la fin des messes en latin en 1965. Une religion qui évolue pour s’adapter aux mœurs du moment devient une construction humaine. Dans ce cas, appelons là autrement. 

—  Carrément… dit Émeline

—  Oui, une religion doit rester authentique ! Et je t’en parle librement puisque je suis athée…

—  Heureusement, sourit Xavier. Sinon, tu serais considéré comme hérétique !

Tous s’esclaffent.

Et voici le dessert qui arrive. Un nouvel instant de paix, et peut-être de contemplation…



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

16 octobre 2023

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