Chroniques vingt-et-unièmes —Rencontre d’automne — 2 octobre 2023


 Rencontre d’automne 


—  Et encore un 49-3 ! Où est la démocratie ?

Avec son pied, Sébastien fait voler les feuilles autour de lui pour montrer son énervement. En compagnie de Xavier, il suit prudemment un chemin balisé en forêt. Étouffés par les ramures, des coups de feu claquent au loin. La chasse a commencé.

—  Désolé, répond Xavier, mais il faut bien avancer. Regarde ce qui passe aux US. Ils ont dû prendre une mesure d’urgence pour éviter le shutdown, trois heures avant le couperet. Avec un effet collatéral quand même : l’aide financière à l’Ukraine est suspendue. Je pense que là-bas, ils aimeraient bien disposer du 49-3. Parce que, s’il n’y a pas d’accord entre démocrates et républicains sur le plafond de la dette, on bloque les dépenses et les fonctionnaires ne sont plus payés. Tu voudrais ça en France ?

—  On en est loin encore…

Xavier fait face à Sébastien.

—  Et qu’est-ce que tu proposes à la place ? Que pour la planification budgétaire, les oppositions se mettent d’accord ? Tu imagines les insoumis d’accord avec le RN. De la pure science-fiction… Certains exigeraient des baisses d’impôts, d’autres des hausses, ce serait la cacophonie.

—  Ah, les baisses d’impôts… On réclame toujours des baisses d’impôts ! Mais c’est au détriment des services publics. On manque partout de moyens, et on veut baisser les impôts ! Le pire, c’est d’avoir supprimé la redevance télé. Ça ne me dit rien de bon. Sans argent, l’audiovisuel public va se retrouver à la botte du gouvernement !

—  L’indépendance de l’audiovisuel public grâce à la redevance, je l’ai souvent entendu. Pourtant, je ne suis pas si certain de la relation entre redevance et indépendance. Si mes souvenirs sont exacts, la redevance a été créée en 1933 pour la radio et en 1948 pour la télé. Elle existait donc dans les années 60, et malgré tout, ça n’empêchait pas le directeur de la RTF de l’époque de prendre chaque soir, juste avant le 20 heures, ses ordres du ministre de l’Information, le doigt sur la couture du pantalon. C’est Alain Peyrefitte, lui-même, qui le raconte dans un livre, Le Mal français, je crois, que j’ai lu quand j’étais étudiant. Il affirme avoir éliminé cette pratique en accédant à la fonction ministérielle. Inversement, on a vu dans le passé certains médias privés, qui par définition ne bénéficiaient pas de la redevance, soutenir bec et ongles le gouvernement en place. Je ne citerai pas de noms…

—  Peut-être, mais ce n’est pas normal de l’avoir supprimée !

Xavier s’esclaffe :

—  Le jour où on pourra donner une définition précise de la normalité…

—  On va perdre en qualité…

—  Pas sûr. Il y a une course entre audiovisuels public et privé pour gagner des parts de marché. Et les parts de marché ne se gagnent pas forcément avec de la qualité. Par contre, en créant de l’émotion, là, on peut y arriver. Et puis, il y a ces idées toutes faites, ces clichés…

—  Des idées toutes faites ?

—  Oui, un exemple… explique Xavier en s’asseyant sur une souche. Tu as peut-être remarqué qu’à la télé, à chaque fois qu’on parle des retraités, ou des seniors – le terme est plus valorisant –, on nous montre des têtes grisonnantes en train de taper le carton ou de jouer au loto. Mélenchon voudrait le retour de l’âge de départ à la retraite à 60 ans. Si un jour il parvient au pouvoir et qu’il le fait, il devra réfléchir à développer une filière française de fabrication des jeux de cartes, car je suis sûr que tous ceux qu’on utilise sont importés. C’est ça la réindustrialisation…

—  Oh, là là… Tu dis vraiment n’importe quoi. Plutôt que de baisser les impôts des riches, il vaudrait mieux augmenter les salaires. On demande l’indexation des salaires sur l’inflation et le gouvernement botte en touche.

—  Oui, oui, j’entends ça. La gauche réclame une indexation des salaires sur les prix. Mais on a déjà connu ce mécanisme : il avait été mis en place en 1952 par Antoine Pinay – au passage un ministre de droite – en même temps qu’il avait créé le SMIG, devenu ensuite le SMIC. C’est la gauche qui y a mis fin en 1983 alors que l’inflation était galopante, ce qu’on semble oublier aujourd’hui. Ce sont toujours les mêmes recettes, qui n’ont pas prouvé leur efficacité, qui reviennent. Car il est démontré que l’indexation entretient l’inflation.

—  Les temps ont changé…

—  Et à l’époque, ça ne s’est pas passé tout seul. Le gouvernement a dû engager sa responsabilité pour supprimer l’indexation !

—  Donc, ça ne te gêne pas qu’il y ait autant de pauvres en France ?

Sébastien a repris la marche en fulminant et Xavier le suit.

—  Si, ça me gêne. Bien sûr que ça me gêne ! Pour qu’il y ait autant de pauvres, autant de précarité dans un pays qui redistribue presque 60 % de la richesse produite, et en supposant qu’on dépense à bon escient, c’est que ce pays, manifestement, ne produit pas assez de richesse. Alors, il faut se retrousser les manches ! Au travail, donc !

—  Toujours, la dérision… Le travail, il n’y a que ça qui compte pour toi.

—  Ça peut aider à créer de la richesse…, dit Xavier, ennuyé que Sébastien s’emporte. Il y a même une fête pour célébrer le travail. Le Premier mai, tu connais… Quoique Mélenchon préférerait qu’on l’appelle « fête des Travailleurs », car il trouve l’expression « fête du Travail » pétainiste…

—  Tu ne peux pas le laisser un peu tranquille, Mélenchon ? C’est une obsession…

Bientôt le rugissement de l’automne et ses couleurs bouillonnantes.

Pour l’instant, ce sont les idées qui bouillonnent dans les têtes.



FIN


https://gauthier-dambreville.blogspot.com

https://app.partager.io/publication/gd

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

2 octobre 2023

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Chroniques vingt-et-unièmes — Ce qui permet de vivre et d’espérer — 29 janvier 2024

Chroniques vingt-et-unièmes — Aboutir à des impasses — 5 février 2024

Chroniques vingt-et-unièmes — L’année 2024 n’est pas finie — 1er janvier 2024