Chroniques vingt-et-unièmes — Trouver des sujets de rêve — 11 septembre 2023


 Trouver des sujets de rêve 


Ça foisonne à présent. Les raisons d’espérer s’accumulent. Mais c’est une course de vitesse : le réchauffement climatique se confirme (pour Antonio Guterres de l’ONU, « l’effondrement climatique a commencé »), constamment renforcé par une consommation accrue d’énergie carbonée au niveau de la planète, alors que les technologies à base d’hydrogène demanderont au moins quinze ou vingt ans pour être pleinement opérationnelles.

Quinze ou vingt ans ! Un mauvais moment à passer, diront les plus optimistes. « Infernal », s’offusqueront les autres, et il est vrai que dans certains endroits, la chaleur constatée préfigure les flammes de l’enfer.

Mais le professeur Marcus appartient plutôt au premier groupe. Avec son fils Thomas qui sert le café, il commente ces bonnes nouvelles.

D’abord la fusion à hydrogène. Il y a déjà eu cette annonce en décembre dernier par la secrétaire nationale à l’énergie des États-Unis : un laboratoire de Californie, le National Ignition Facility (NIF) a produit lors d’une expérimentation nucléaire plus d’énergie que celle qui avait été nécessaire pour amorcer la réaction. Une grande première. « Un travail acharné ayant abouti à un résultat historique », selon elle. C’est ce qu’on appelle « l’ignition par fusion ». Et cette « percée historique » dont a parlé la presse, qui vient juste d’être réitérée en août, ce qui montre qu’elle n’est pas le fruit du hasard, est l’œuvre de 200 chercheurs ayant mis au point un prototype occupant la surface de trois terrains de football, le tout pour 3,5 milliards de dollars. 

C’est peut-être à la suite de cette première annonce, et l’ébullition en la matière (une trentaine d’entreprises, dont les deux tiers sont situées aux États-Unis, y rivalisent d’innovations), que l’Allemagne a présenté au début de l’été un plan de soutien à cette technologie. Elle abandonne le nucléaire classique pour se lancer dans le nucléaire nouveau. « À bas la fission ! Vive la fusion ! ». 

Mais la start-up allemande Marvel Fusion n’a pas attendu cette décision. Elle est prête à construire son premier « démonstrateur ». Ce ne sera malheureusement pas en Europe, mais au Colorado, malgré une option prise initialement sur le site de Saclay, ce qui illustre l’accompagnement qui reste à faire et l’argent à investir pour développer une offre concurrençant les États-Unis. 

Et puis cette grande avancée de la Corée du Sud. L’un des principaux obstacles à la fusion est de conserver un matériau supraconducteur à une température très basse, ce qui suppose une quantité phénoménale d’énergie à fournir. Les Coréens auraient mis au point le « LK-99 », un matériau qui pourrait, lui, laisser passer le courant sans résistance, et ce, à la température ambiante. Le Graal des physiciens ! Outre des applications dans la fusion nucléaire, on en imagine toutes sortes d’autres, notamment dans les transports où l’on pourrait maintenir des véhicules en lévitation.

—  C’est bien, réagit Thomas aux explications de son père, mais « l’hydrogène blanc » dont tu m’as déjà parlé, c’est quoi par rapport à la fusion ? Tu sais que les sciences et moi, ça fait deux. Ma spécialité c’est l’histoire…

—  L’hydrogène blanc, c’est autre chose : on passe de la physique à la chimie. La fusion à hydrogène c’est une réaction nucléaire au niveau de l’atome, alors que la combustion à l’hydrogène c’est une réaction chimique comme celle que l’on peut observer avec les dérivés du pétrole.

—  Oui…

Et Marcus se lance dans un long développement.

L’hydrogène dit « blanc » se forme naturellement dans les entrailles de la Terre et on l’appelle ainsi parce qu’il ne produit pas de gaz à effet de serre. Au moment de la combustion, il se combine à l’oxygène lors d’une réaction qui génère beaucoup d’énergie et de la vapeur d’eau. Donc sans pollution. Il suscite de ce fait énormément d’espoirs, surtout dans l’industrie lourde où il remplacerait opportunément l’énergie carbonée. Et côté ressources, la France est bien placée. On a découvert récemment en Lorraine, autour de 1 200 mètres de profondeur, un gisement d’hydrogène gazeux qui serait le plus vaste au monde. Il est situé dans le bassin houiller qui fut exploité pendant des siècles, lequel pourrait reprendre une nouvelle vie.

Le marché est déjà en effervescence. On l’estime pour l’instant à 1 000 milliards de dollars à l’horizon 2050. Et certains ne s’y sont pas trompés, c’est un signe. Par exemple, Bill Gates, dont on connaît le flair, a investi dans une start-up de forage d’hydrogène, Koloma, qui vient de lever 82 millions de dollars et qui a déposé, en toute discrétion, 16 brevets concernant cette technologie. Encore une fois, ce sont les Américains qui sont en pointe dans le domaine.

Et, ce qui semble incroyable, le seul gisement exploité sur terre depuis dix ans, celui du Mali, n’a pas vu sa pression baisser. Ce qui laisse supposer que l’hydrogène produit en profondeur par oxydoréduction serait renouvelable. Évidemment, il convient de rester mesuré. Entre les ressources potentielles et les ressources réellement disponibles, il existe une marge. Mais il y a de quoi faire rêver.

—  Je ne savais pas que l’hydrogène pouvait faire rêver, conclut Thomas.

Marcus soupire et termine son café.

—  Par les temps qui courent, il faut bien trouver des sujets de rêve.


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

11 septembre 2023

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