Chroniques vingt-et-unièmes — Le propre de la démocratie — 7 août 2023


 Le propre de la démocratie 


—  La maison brûle et on regarde ailleurs…

—  Ah, la fameuse phrase de Chirac… Tous les ans, à la même époque, tu m’en parles…

Ils viennent de suivre un sentier sinueux au milieu des fougères desséchées que les ramures des grands arbres protègent des averses. Sébastien s’est arrêté net. Oui, tous les ans, il évoque cette phrase. Mais la situation n’empire-t-elle pas ?

—  Elle n’a jamais été aussi actuelle, rétorque-t-il. Les étés sont de plus en plus chauds, la Méditerranée devient tropicale, va bientôt bouillonner, ça flambe tout autour, la Côte d’Azur commence à ressembler au Maghreb, et Antonio Guterres a même déclaré que « l’ère de l’ébullition mondiale est arrivée ». Et que fait la France ? On ne tient aucun de nos objectifs pour lutter contre le réchauffement climatique. Heureusement, les écologistes veillent au grain…

Xavier sourit.

—  Pas au grain de maïs, j’espère, c’est ce qui consomme le plus d’eau…

—  Arrête…

—  J’ai vu que EELV va changer de nom et s’appeler « Les Écologistes ». Tu crois que ça va améliorer les choses ?

—  Je n’ai pas dit ça, mais ils vont rester mobilisés.

—  Désolé de te décevoir, mais l’écologie en France n’est pas opérative, elle est symbolique.

—  Comment ça ?

—  Je veux dire qu’elle est purement politique.

—  Encore une affirmation gratuite ! Il suffit que chacun contribue et ensemble on y arrivera.

Ils s’assoient sur une souche.

—  La question est de savoir qui est le « on » dont tu parles, répond Xavier. Imagine qu’on mette la France à l’arrêt pendant un an, c’est-à-dire que les gens ne travaillent plus, se prélassent au lit, ne consomment plus, s’alimentent au minimum, en hibernation presque, qu’on ne produise plus rien, qu’on ne se déplace plus, ce qui bien sûr relève de la science-fiction… Eh bien, l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre au niveau planétaire serait une diminution de 0,8 %. 0,8 % seulement ! Sachant que pendant ce temps, la Chine et l’Inde augmenteraient leur impact au moins d’autant car ces pays ne cessent de construire des nouvelles centrales à charbon ou à gaz. Eh oui, c’est la triste réalité : le monde utilise toujours plus d’énergie fossile. Une étude vient d’ailleurs de le montrer.

Sébastien se frotte les yeux. Xavier a l’habitude de sortir des chiffres pour étayer tous ses arguments. Mais tout ne se ramène pas à des chiffres.

—  Et alors ?

—  Ce que je veux dire, poursuit Xavier, c’est que toutes les initiatives que l’on prend en France pour limiter les émissions ont un résultat négligeable : ce sont des paroles, de la communication… C’est comme chercher à écoper la mer avec une petite cuillère. Je ne nie pas du tout le réchauffement climatique, mais ce ne sont pas nos décisions en France qui ont un impact sur le climat en France. Car tout en la matière est une affaire d’interactions au niveau du globe, entre les océans, l’atmosphère, les forêts, le plancton, etc. On peut par contre agir pour économiser l’eau ou pour la qualité de l’air en réduisant la concentration des nanoparticules, mais ce n’est pas ça lutter contre le réchauffement climatique. C’est pour ça que j’affirme que l’écologie dans notre pays est essentiellement politique, un argumentaire comme il en existe plein d’autres, pour accéder au pouvoir. Au mieux, ce serait pour donner un exemple au reste du monde. Mais le temps où la France était la deuxième puissance après le Royaume-Uni, c’est-à-dire le temps des empires coloniaux, le temps, donc, où elle pouvait exercer une influence, est bien révolu. Ce que chacun approuve, d’ailleurs.

—  Tu te trompes dans les chiffres. Si on compte les biens que la France importe, c’est 2 % de gaz à effet de serre que la France émet. Et puis, il y a tout ce qu’elle a émis dans le passé, qui lui a permis de se développer et d’accroître ses richesses.

—  Sans doute, mais le passé est le passé, et on ne va pas le changer avec les décisions d’aujourd’hui. Et effectivement, si les produits importés sont source de gaz à effet de serre, on n’a aucune prise sur les pays qui les fabriquent. Tout ce qu’on peut faire, c’est relocaliser la production industrielle en France, mais au préalable on doit déjà convaincre beaucoup d’écologistes… Car l’industrie, c’est polluant…

—  Il faudrait vraiment un accord mondial…

Du vent filtre dans les feuillages, et il fait un peu frais où ils sont installés. Alors que tous les météorologues anticipaient une nouvelle canicule, on évoque à présent « des températures inférieures aux normales de saison ». Une conséquence du phénomène El Niño, peut-être ? Sur un signe de Xavier, ils se lèvent et reprennent le sentier. Celui-ci essaie d’expliquer :

—  On ne parviendra pas à un accord mondial, les COP n’aboutissent à rien. Les pays émergents nous reprochent d’avoir pollué dans le passé et n’acceptent plus nos leçons de vertu. Je ne connais pas un seul exemple dans l’histoire où face à une catastrophe annoncée on ait trouvé une solution commune.

—  Tu es franchement pessimiste…

—  Ça m’arrive.  Donc, il est vain pour moi de lutter contre le réchauffement climatique – qui est réel, je n’en doute pas un instant, j’insiste. Il faut au contraire s’adapter, avoir un coup d’avance, nous en avons déjà parlé il y a quelque temps. Et avoir un coup d’avance, c’est végétaliser davantage les villes, faire des réserves d’eau quand il pleut, entretenir les rivières pour éviter les barrages de débris et limiter les crues, planter d’autres arbres et semer des céréales différentes, ne plus construire en bord de mer. Des gestes simples, quoi…

—  Ce ne sera pas suffisant…

—  Et puis s’interroger. Quelle est la pertinence d’un appel à diminuer la consommation quotidienne d’eau lorsque des tonnes en sont déversées par les pompiers pour éteindre des feux de forêt engendrés par des agissements irresponsables de gens qui balancent des mégots par les portières ou font des barbecues. Sans parler des canons à eau pour disperser les auteurs de violences urbaines…

—  Tu mélanges tout, là…

—  Et quelle est la force de persuasion des incitations à privilégier l’économie circulaire pour donner une deuxième, voire une troisième vie à des objets dont on veut se séparer, alors que des voix « autorisées » s’élèvent et excusent les jeunes « accros » aux produits de grandes marques qu’ils n’ont pas la chance de pouvoir acheter et sont donc contraints de voler ?

—  Quoi ?

—  Enfin, quel est l’impact d’une sensibilisation aux dangers de la pollution automobile lorsque des voitures ou des poubelles sont enflammées par milliers par les incendiaires en colère ? Alors pourquoi les écologistes si convaincus par les comportements salutaires capables d’économiser les ressources de notre planète ne dénoncent-ils pas avec virulence ces comportements honteux ? Un bassin de rétention d’eau est-il plus nuisible à la planète qu’une nuit d’émeute ?

Sébastien n’en croit pas ses oreilles. Quelle rengaine ! Pour lui, Xavier est en train de délirer. On sait que tout est dans tout, mais quand même… Il se poste face à lui :

—  C’est du n’importe quoi. Il y a surtout un manque de vision des gouvernants !

—  Un manque de vision ? Mais le manque de vision est inhérent à la démocratie ! Les ministres changent tout le temps ! Regarde le dernier remaniement. Huit ministres à nouveau qui sont remplacés ! Ils restent un an ou deux à leur fonction, sauf exception. Et encore ! Qu’ils soient de gauche ou de droite, on appelle en permanence les ministres à démissionner, pour une raison ou pour une autre. Par exemple, l’Éducation nationale : comment veux-tu avoir une vision avec un ministre qui change tous les ans ? Il faudrait une administration centrale inamovible pour avoir une vision sur le long terme. Mais qu’est-ce qu’on conclurait ? Que c’est une autocratie ! Comment veux-tu avoir une vision avec des majorités qui alternent tous les cinq ou dix ans – comme cela se passe depuis quarante ans –, qui détricotent ce qu’ont fait les précédentes, et des gouvernements successifs qui ne font que régler les problèmes du moment avec les contraintes du moment… Mais il ne faut pas pleurer, c’est l’essence de la démocratie !

—  C’est grave ce que tu dis !

Xavier contourne Sébastien sur le sentier et lâche :

—  Toute vérité n’est pas bonne à entendre… Mais on va encore citer Churchill : la démocratie est le moins pire des systèmes et on n’a pas trouvé mieux !

—  Tu ne m’ôteras pas de l’idée que la faute en revient au néo-libéralisme ! Et la France, maintenant, en est championne ! Le néo-libéralisme a tué la social-démocratie !

—  Le néo-libéralisme ! Une erreur d’évaluation… Que tu le veuilles ou non, un pays dont les dépenses publiques et sociales représentent 60 % du PIB est une social-démocratie…

Toute cette discussion ne mène à rien, songe Xavier. Mais outre l’absence de vision, la discussion n’est-elle pas le propre de la démocratie ?


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

7 août 2023

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