Chroniques vingt-et-unièmes — S’il n’y avait que ça… — 15 mai 2023


 S’il n’y avait que ça…


Une journée ordinaire. En dix minutes passées à consulter quelques sites – France Info, Le Monde, Le Figaro, Libération… – , Jean-Bernard a appris que le moustique tigre, susceptible de transmettre des maladies tropicales, a pratiquement envahi toute la France ; que la consommation et le trafic de prégabaline, à l’origine prescrite comme calmant et devenue la « drogue du pauvre », s’étend dans le pays de façon vertigineuse ; que les nuages en haute altitude peuvent abriter des bactéries multirésistantes aux antibiotiques ; que la fonte de la calotte glaciaire du Groenland et du permafrost en Sibérie s’accélère ; qu’on pourrait connaître un superphénomène El Niño à partir de cette année, qui serait source de dévastations dans le monde entier.

Et, cerise sur le gâteau, que l’hortillonnage d’Amiens est menacé par le manque de vocations ; que les décharges sauvages de pneus, très polluantes, se répandent un peu partout dans les campagnes ; que les digues littorales se délitent le long des côtes sous l’effet de la montée des eaux ; et qu’il serait dangereux en Île-de-France de consommer les œufs des poules issus d’élevages domestiques pour cause de contamination à la dioxine.

À cela s’ajoute la multiplication des agressions contre les élus où les parents d’élus, comme celles contre le maire de Saint-Brevin et le petit-neveu par alliance d'Emmanuel Macron, rappelant les grandes heures du fascisme, qu'il soit d'extrême droite ou d’extrême gauche.

Avec en toile de fond ou en sourdine, ces guerres civiles qui n’en finissent pas au Soudan, au Yémen et en République démocratique (quel beau nom…) du Congo.

Sans oublier, bien entendu, le conflit en Ukraine.

Et cætera.

Un mince échantillon des malheurs du monde. Cette énumération donne le tournis et Jean-Bernard préfère éteindre sa tablette.

Des catastrophes en chaîne. Peut-être simplement des alarmes. Le JT de 20 heures s’en est fait sa spécialité. Mais cette accumulation d’alarmes pose pour lui un problème.

Selon lui est arrivé le règne d’Homo alarmus. Pas une journée maintenant sans qu’une nouvelle menace soit évoquée. Les lanceurs d’alerte ont pignon sur rue et on cherche à leur conférer un statut pour les protéger des foudres de ceux qui voudraient que rien ne change. Mais le véritable danger est peut-être de multiplier les alertes en tous genres. Un peu comme dans le cockpit d’un avion où toutes les alarmes se déclencheraient en même temps. Il y aurait alors de grandes chances que la panique s’empare du pilote et mène l’avion à une chute fatale.  

Mais autre danger non moins préoccupant, c’est qu’on s’habitue à ces alarmes. Elles créent un bruit de fond auquel on n’accorde plus qu’une oreille distraite.

Il est vrai que la presse – papier, télévisuelle ou numérique – est un métier bizarre. Comment susciter en permanence l’attention de millions d’auditeurs face à une concurrence attisée par l'augmentation exponentielle des canaux d’information ?

En jouant sur l’instinct de survie.

Car toutes les catastrophes évoquées ne présentent qu’un risque, celui de mettre fin à l’espèce humaine.

Cependant, réfléchit Jean-Bernard, il y a quand même des choses qui s'arrangent. On a par exemple accompli un pas décisif cette année en matière de ramadan : l'Arabie saoudite et l’Iran ont convenu de le commencer le même jour, le 23 mars. Mais certains y verront sans doute une menace. Le réchauffement des relations entre ces deux géants du monde musulman ne peut avoir qu'un but : envoyer un avertissement aux Américains déjà fort occupés sur les fronts de l'Ukraine et de Taïwan. 

Arrêtons de broyer du noir, se reprend Jean-Bernard, il reste quand même un événement heureux, le concours de l'Eurovision qui vient de se tenir, censé sacrer la meilleure chanson, mais qui est peut-être devenu au cours des ans le plus grand concours des arts scéniques, voire des effets visuels, et éventuellement le défouloir de toutes les excentricités. Serait-ce un exutoire face aux assauts de la dure réalité ? Le risque – encore un ! –, diront toujours les mêmes, est d'alimenter les fantasmes de Poutine où d'Erdogan dénonçant les excès d'un Occident dépourvu de valeurs et décadent.

De toute façon, on ne changera pas cette évolution, ce serait comme ériger des châteaux de sable pour empêcher la mer de monter.

Assise près de Jean-Bernard, Élise relève la tête.

—  Tu es bien pensif…, murmure-t-elle, moi, je n’arrive pas à finir ces mots fléchés !

—  Il y a effectivement de quoi penser…  

—  Justement, j'aimerais savoir ce que tu penses de cette enseignante aux États-Unis qui a dû démissionner parce qu'elle a montré une photo du David de Michel-Ange à ses élèves de sixième. Les parents ont jugé la photo pornographique ! Je suis sûre que ces petits chérubins en voient bien d'autres sur Internet, à moins que leurs parents ne les considèrent comme des anges, ce qui nous ramène à l'auteur de la statue…

—  Bien dit, mais s'il n’y avait que ça…

C’est vrai, la morale change, elle n’est pas inscrite dans le marbre.


FIN


https://gauthier-dambreville.blogspot.com

https://app.partager.io/publication/gd

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

15 mai 2023

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Chroniques vingt-et-unièmes — Ce qui permet de vivre et d’espérer — 29 janvier 2024

Chroniques vingt-et-unièmes — Aboutir à des impasses — 5 février 2024

Chroniques vingt-et-unièmes — L’année 2024 n’est pas finie — 1er janvier 2024