Chroniques vingt-et-unièmes — Pourquoi tant d’insultes ? — 1er mai 2023


 Pourquoi tant d’insultes ?


« Les lunes glacées de Jupiter ». Ces simples mots procurent au professeur Marcus une bouffée d’adrénaline. Car 2031 n’est pas si loin. En juillet de cette année-là, si les dieux de l’espace sont cléments, la sonde Juice (« Jupiter Icy Moons Explorer ») atteindra les satellites Callisto, Ganymède et Europe, quelques-uns parmi les centaines que compte la planète géante, et ce après un périple de deux milliards de kilomètres.

Et pour quoi faire ? C’est bien la question essentielle en ces temps de désastres qui s’accumulent dans le monde. Toujours pour répondre à la même question : les conditions de vie existent-elles en dehors de la Terre ? Car selon les observations du télescope Hubble, Europe et Ganymède renfermeraient des océans liquides sous leur croûte glacée. Et qui dit océan dit milieu propice à l’éclosion de la vie.

Mais les sceptiques demanderont à quoi sert de savoir s’il existe une vie en dehors de notre planète. Pour s’en protéger ? Pour l’asservir ? Pour établir des relations ? Ou pour affirmer la communauté des Terriens en tant que telle ?

Pour Marcus, il y a peu de chances de trouver une vie quelconque sur l’une des lunes de Jupiter. La probabilité que la vie soit apparue deux fois dans un même système est infime. Il faudrait voir plus loin, bien au-delà du Système solaire, peut-être du côté de l’étoile Trappist-1.

Trappist-1, c’est une naine rouge, c’est-à-dire une étoile qui a largement consommé ses réserves d’énergie. Située à 40 années-lumière de la Terre, on compte sept planètes qui gravitent autour d’elle. Et parmi ces sept planètes, une serait assez semblable à la Terre, d’après les observations récentes du télescope James-Webb, et trois pourraient en être proches également. De quoi provoquer là aussi des bouffées d’adrénaline chez tous les astrophysiciens. 

À suivre, songe Marcus. Mais son centre d’intérêt s’oriente davantage vers le mystère de la composition de l’Univers, de ce qui existe au-delà de la matière baryonique. « Matière baryonique », quelle appellation barbare ! Il s’agit pourtant de toute la matière qui nous environne, que nous voyons, que nous ressentons, que nous pouvons palper ou analyser, depuis l’infiniment petit jusqu’aux plus lointaines galaxies. La matière normale, quoi ! Cependant, et c’est là le grand mystère (qui n’intrigue finalement pas autant de gens qu’on pourrait le penser), cette matière baryonique ne représente que 5 % de l’Univers. Et pour Marcus et bien d’autres chercheurs, cet état de fait défie l’entendement. Où sont les 95 % manquants ? Parmi ce qui reste à découvrir, 26 % seraient constitués par la fameuse « matière noire » que l’on essaie de scruter avec les moyens d’observation les plus évolués, et 69 % par une forme particulière d’énergie (car l’énergie a une masse, figurez-vous), une énergie insondable appelée aussi « énergie noire », qui pourrait être le carburant de l’accélération constatée par les scientifiques lorsqu’ils étudient l’expansion de l’Univers.

Cependant, on dispose d’une arme secrète pour faire avancer les recherches, car on mise beaucoup sur le lancement en juillet prochain d’un nouveau télescope spatial, Euclid (encore un !), dont l’objectif est de traquer cette matière et cette énergie noires.

Et en attendant, il est peut-être temps de s’intéresser à des phénomènes beaucoup plus proches de nous.

Revenons en effet sur la Terre, ou plutôt dans les entrailles de la Terre. Grâce à des capteurs très sophistiqués, on a pu analyser certaines zones à la limite du noyau et du manteau. Elles renfermeraient des montagnes cinq fois plus hautes que l’Himalaya. Des montagnes qui se seraient formées il y a 200 millions d’années sous des pressions tectoniques incommensurables ayant conduit des fonds marins à se glisser sous le manteau.

Toutes ces recherches, toutes ces problématiques passionnent, et Marcus sait que beaucoup d’astrophysiciens ou de géologues n’envisagent pas de prendre leur retraite avant de trouver les réponses à ce qui a monopolisé leurs cellules grises durant des dizaines d’années, certains d’entre eux remerciant peut-être en cachette le ciel (ou le Cosmos) que l’âge de départ ait été repoussé à 64 ans. 

Peu de chances alors qu’ils aient étoffé les défilés du jour.

Le temps est une construction humaine. Pourquoi ces torrents d’insultes en cette journée du 1er mai autour de ce qui n‘est au fond qu’une donnée subjective ?

Un autre mystère que le professeur Marcus ne cherche pas à résoudre.


FIN


https://gauthier-dambreville.blogspot.com

https://app.partager.io/publication/gd

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

1er mai 2023

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Chroniques vingt-et-unièmes — Ce qui permet de vivre et d’espérer — 29 janvier 2024

Chroniques vingt-et-unièmes — Aboutir à des impasses — 5 février 2024

Chroniques vingt-et-unièmes — L’année 2024 n’est pas finie — 1er janvier 2024