Chroniques vingt-et-unièmes — Trouver le compromis — 17 avril 2023


 Trouver le compromis


—  Je ne m’attendais tout de même pas à cette décision du Conseil Constitutionnel. On a l’impression qu’il est déconnecté de l’actualité, qu’il n’a rien suivi des événements, qu’il n’a pas vu les manifs dans la rue… Et comme un voleur, Macron promulgue la loi aussitôt dans la nuit.

Xavier prend le temps de réfléchir à ce que vient de dire Sébastien. Celui-ci paraît très remonté. Il semble que pour lui la semaine a été longue dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel.

—  Je pense qu’il veut passer à autre chose… commente-t-il doucement.

—  Mais il ne passera pas à autre chose, la lutte va continuer !

—  Oui, oui, les luttes sont faites pour continuer. On entend toujours dire « On ne lâchera rien », « On ira jusqu’au bout ». Mais on ne sait pas quel est le bout en réalité…

—  Il n’y a pas vraiment de quoi plaisanter. Les grèves sont simplement suspendues, elles vont reprendre ! (Sébastien paraît hors de lui.)

—  Dans notre pays, une grève n’est jamais terminée, elle est simplement « suspendue ». On vit en fait dans un entre-deux, constamment entre deux grèves. L’activité normale serait en quelque sorte un état précaire, comme disait le docteur Knock à propos de la santé.

—  C’est médiocre… 

Xavier ne tient pas compte de la remarque et continue :

—  Et ce qui me fait peur, c’est la réaction de Laurent Berger. Il parle de « casser la baraque » le 1er mai. J’espère qu’on ne le suivra pas à la lettre, il ne faudrait pas que ce soit mal pris. Je constate finalement qu’on est en présence d’une relation asymétrique…

—  Pardon ? (Sébastien se demande sur quel terrain Xavier veut l’emmener).

—  Oui, entre gouvernement et syndicats. Si le Conseil constitutionnel avait censuré la loi, les syndicats auraient exigé que le gouvernement retire la réforme, ce que de toute façon il aurait été obligé de faire. Mais que se passe-t-il ? La loi n’est pas censurée et les syndicats annoncent continuer la lutte.

Sébastien ricane.

—  Relation asymétrique, ce que tu vas chercher… En tout cas, c’est la dégringolade de Macron dans les sondages. Plus des deux tiers des Français sont mécontents de lui…

—  Je dirais qu’en la matière on manque de points de comparaison… Ses deux prédécesseurs immédiats n’ont pas eu, malheureusement,  le privilège de se prêter à l’exercice pour leur deuxième mandat…

—  Tu soutiendras toujours Macron, toi !

—  Je ne suis pas macroniste, comme je n’ai été ni hollandais, ni sarkozyste ou chiraquien. Tu fais une erreur d’appréciation. Il se trouve que je suis un vrai démocrate…

Sébastien qui tenait son manteau à la main le pose sur une chaise.

—  Rien que ça !

—  Mais oui. Il me semble que la démocratie, sauf si quelque chose m’a échappé, c’est d’élire un représentant pour lui donner mandat et regarder si au terme de ce mandat il a accompli ce sur quoi il s’est engagé. Or, que se passe-t-il maintenant ? Dès qu’un président est élu, il est aussitôt contesté par ceux qui ne l’ont pas élu. Ç’a été la même chose pour Chirac, Sarkozy et Hollande. Je trouve cela lassant…

—  Macron aurait pu quand même recevoir les syndicats. En fait, il est dans son palais princier…

—  Ce qui est curieux en France, c’est qu’on dénonce depuis toujours une monarchie présidentielle – Mélenchon vient encore de le faire. Mais au moindre problème, on demande au Président de prendre la parole ou de décider. On attend des « mesures », et quand il n’y en a pas, on est déçu. Il me semble pourtant d’après mes souvenirs d’école que le Président est le chef des armées, qu’il a un domaine réservé, les affaires étrangères, et qu’il négocie et ratifie les traités. Le gouvernement, lui, « détermine et conduit la politique de la Nation ». Ce n’est pas clair ? Ce n’est donc pas au Président de descendre dans l’arène en permanence. Celui qui a fait du tort, à mon avis, c’est Sarkozy. Il voulait être partout pour qu’on parle de lui tous les jours…

—  Oh, Sarkozy…

Xavier sait que Sébastien n’a jamais eu d’attirance pour Nicolas Sarkozy et ce n’est pas peu dire. Il continue :

—  En fait, le Président est là pour avoir une vision, et surtout la transmettre, mais en démocratie, c’est vraiment difficile, une majorité détricote régulièrement ce qu’a fait la précédente. Alors, on gère les crises, on s’occupe du court terme…

—  Donc, d’après toi, il n’y a que les dictateurs qui auraient une vision !

—  Ça devrait, compte tenu de la durée dont ils disposent, mais le problème, c’est que leur vision se résume à se maintenir au pouvoir, ce qui ne vaut pas mieux. On en revient toujours à la démocratie, qui n’est pas le meilleur système, loin de là, mais le moins pire, quand ce n’est pas de la démagogie…

—  Oui, je sais, répond Sébastien. C'est facile d'accuser l’opposition de faire de la démagogie.

—  La démagogie, mon ami, est aussi vieille que la démocratie. Relis La République de Platon…

—  Je ne l’ai jamais lu… Mais tu cherches à m'embrouiller. Pendant qu’on demande aux travailleurs de faire des efforts, il y a des entreprises qui se gavent, qui rachètent leurs propres actions !

Xavier pose à son tour son anorak. Il commence à faire chaud dans ce salon.

—  Ah, les rachats d’actions… Ça a toujours existé et je ne comprends pas bien la polémique sur le sujet. Et je dois dire que les derniers propos du Président dénonçant le cynisme des entreprises qui s’y livrent apportent un peu plus de confusion. Quand une entreprise a besoin d’argent, généralement pour investir, elle peut, en dehors des banques, faire appel au marché, soit en émettant des obligations, c’est-à-dire des emprunts, soit en émettant des actions qui sont des parts de capital. Elle rembourse les obligations à l’échéance ou par rachat anticipé. En ce qui concerne les actions, elle peut décider de faire de même vis-à-vis des investisseurs, bien qu’il n’y ait pas d’échéance. Elle le fait simplement en Bourse en achetant ses propres actions ; on nomme ça un rachat. Cette procédure est strictement encadrée et ne peut pas dépasser un pourcentage du capital. Lorsque l’entreprise rembourse les obligations, on trouve plutôt heureux qu’elle honore sa signature, mais quand il s’agit d’actions, cela paraît scandaleux...

—  Elles auraient pu au moins attendre pour le faire…

—  Sébastien, on en a déjà parlé cent fois, je n’étais pas pour une réforme des retraites sous cette forme. J’étais pour une mise à plat complète du partage des richesses produites par le travail humain et les machines, car les cotisations sont principalement assises sur les salaires. Mais je pense que ça viendra un jour. Maintenant, il serait bien de tourner la page, ce qui a été fait est constitutionnel, même si ça ne plaît pas. Il y aura d’autres élections. Peut-être que la prochaine majorité reviendra sur la réforme…

—  Ça, sûrement !

—  Mais il ne faut pas oublier que la politique, quand on est au pouvoir, c’est de rechercher le compromis permanent entre des contraintes économiques, sociales, écologiques et sécuritaires. Dans l’opposition, par contre, on est « tout économique » ou « tout social » ou « tout écologique » ou « tout sécuritaire ». Les choses alors sont simples. Mais elles se gâtent sérieusement en arrivant au pouvoir. C’est l’éternel recommencement… En tout cas, moi, je ne voudrais pas y être !

—  Moi non plus !

Les derniers mots de Sébastien. Finalement, les deux parviennent toujours à trouver un terrain d’entente.

—  Mais c’est pour ça qu’on reste amis… (Xavier enfile maintenant son anorak.) On la fait cette randonnée ?


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

17 avril 2023

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