Chroniques vingt-et-unièmes — Question d'horizon — 27 février 2023


 Question d'horizon


Il a repoussé l’horizon cosmologique jusqu’à ses limites. Des limites « dernières » au-delà desquelles s’ouvre certainement un monde étrange, impénétrable à la compréhension humaine.

En un peu plus d’un an, le télescope spatial James-Webb a déjà collecté une phénoménale moisson d’images, ses caméras infrarouges tour à tour braquées vers les confins de l’Univers, ses bordures, et vers son centre, le point de commencement de tout.

Louis, qui accompagne le professeur Marcus dans sa marche digestive parmi les allées du Jardin des Plantes, s’enthousiasme pour ces découvertes. Mais son collègue de Jussieu est maussade, il semble remuer des idées noires :

—  Le principe d’un horizon, c’est qu’il recule. Et un horizon qui ne recule plus, puisqu’on ne pourrait pas comprendre ce qui se cache derrière, ça ne me dit rien de bon du tout. Ça annonce la fin du monde…

—  Hou la, tu es bien pessimiste ! Il y a quand même de la distance jusqu’à cet horizon. Même si nos instruments l’atteignent, nous, nous n’y parviendrons jamais, et dans la mesure où l’horizon est une construction humaine…

Marcus hoche la tête et Louis poursuit :

—  Et puisqu’on parle d’horizon, il y en a un, « l’horizon des événements », que de toute façon je n’ai pas envie de franchir. Je n’irai sûrement pas au fond du trou noir pour voir ce qui s’y passe !

Louis fait allusion à ce qui désigne en astrophysique les limites d’un trou noir, cette frontière paradoxalement très visible où la lumière ne peut se libérer de l’attraction de cet objet céleste étrange, empêchant toute velléité d’observation en son cœur.

Marcus se tait, il pense à un livre du physicien Jean Perdijon que lui a prêté l’un de ses amis. L’horizon ou le refus de l’infini. C’est dans la nature de l’homme de se donner des limites, même si celles-ci sont fluctuantes dans le temps, de ne pas se perdre dans un espace-temps sans bornes. L’auteur y décortique tous les horizons possibles : l’horizon terrestre, l’horizon des événements, cosmologique, gravitationnel, d’accélération, microscopique… pour terminer sur « l’horizon du possible » qui n’est que le questionnement qui taraude l’homme depuis toujours sur sa propre condition et les mécanismes qui l’entourent.

Et Louis continue son apologie de James-Webb. Dans sa besace, le télescope a découvert une douzaine de galaxies massives, et même supermassives, de 10 à 100 milliards de fois la masse du Soleil, inattendues à cet endroit, des « vieilles », nées presque aussitôt après le Big Bang, 500 à 700 millions d’années « seulement », et ayant atteint très vite une grande maturité. Et ça ne paraît rien, mais leur présence remet en cause la théorie communément admise pour la création des galaxies ; elles bousculent les équations savamment élaborées.

—  Oui, oui, l’interrompt Marcus, rien de nouveau dans tout ça. Les théories sont faites pour être remises en cause, sinon nous serions toujours à l’âge de pierre.

—  C’est un point de vue… Mais James-Webb ne fait pas que remettre en cause, il précise nos connaissances…

En effet, James-Webb n’a pas exploré que les espaces lointains, il a incidemment dirigé, à quelques encablures, son regard vers Jupiter et les anneaux de Saturne, fournissant des photos d’une qualité inégalée.

—  D’accord, continue Marcus, il a un peu amélioré nos connaissances depuis Voyager 2, mais tout ça pour ça ! En fait, si on veut parler de belles images, je m’incline devant les Nuits étoilées de Van Gogh. Tu sais que les constellations y sont à leur place ? C’était un fin observateur, il faut bien le reconnaître…

—  Tu ne vas quand même pas comparer… J’ai l’impression que ce que je te dis ne t’intéresse pas. Tu préfères qu’on s’intéresse au vide ?

—  Pourquoi pas ? Le vide est l’avenir de l’homme…

—  Je ne commenterai pas… Les vides intergalactiques sont passionnants.

Les vides passionnent les astronomes autant que les pleins. Les vides, ce sont les espaces entre les superamas de galaxies (les galaxies, suivant peut-être un instinct grégaire, ont en effet tendance à se regrouper) qui peuvent s’étendre sur des centaines de millions d’années-lumière et qui occupent 90 % de l’Univers, ils méritent à ce titre un peu de considération.

—  Chacun est libre de se passionner pour ce qu’il veut, mais enfin le vide…

—  Alors, revenons sur la Terre. Tu savais que le 19 juillet 2020, elle a tourné en 1,4602 milliseconde de moins que d’habitude ?

Louis vient de citer une anomalie. Une anomalie gênante pour les horloges atomiques puisque le jour a été plus court que la normale. La Terre a donc tourné plus vite, et certains y ont vu un signe, l’imaginant déjà devenir une toupie folle. Cette singularité provient-elle d’un mouvement d’ampleur des océans, d’une déformation du noyau ? C’est en tout cas un champ d’investigation supplémentaire pour les scientifiques. « Un nouvel horizon », conclut Louis.

—  Oh, des nouveaux horizons, on peut toujours en trouver. Et même des horizons littéraires. À la prochaine réunion du Liber Circulo, j’ai envie de présenter Captive, tu connais ?

—  Non

—  C’est une trilogie, un vrai phénomène de librairie, des centaines de milliers d’exemplaires vendus… On y parle de bad boys très machos qui séquestrent des femmes et qui les brutalisent. On appelle ça de la « dark romance ». Et qui achète ? Surtout des femmes prêtes à attendre des heures pour avoir une dédicace. Et figure-toi que l’auteur, qui n’a que 24 ans, est une femme ! On est loin de #MeToo, là !

—  Tu plaisantes, tu ne vas tout de même pas présenter ça à la prochaine séance !

—  Mais tu ne vois pas que je plaisante depuis le début ?!


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

27 février 2023

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