Chroniques vingt-et-unièmes — Chercher les complications — 12 décembre 2022




 Chercher les complications


—  Les temps sont durs, soupire Jean-Bernard en reposant la pile de lettres qu’il vient de rapporter.

—  Tu t’en aperçois seulement ? s’esclaffe Quentin. Regarde autour de toi : tout augmente, de plus en plus de gens vont aux restos du cœur, et tous ceux qui n’arrivent pas à se chauffer…

—  Aujourd’hui, trois demandes de dons, continue Jean-Bernard. Hier, quatre…

Les appels à la générosité parviennent depuis quelques jours en rangs serrés.  C’est l’époque, la fin de l’année fiscale approche…

—  Et comment ils obtiennent notre adresse… ? Mais si, je sais !

Et Jean-Bernard explique sa théorie : il suffit de verser une fois à un organisme caritatif et le tour est joué. Les prestataires doivent se communiquer les « bons clients ». Parce qu'on préfère démarcher ceux qui donnent plutôt que ceux qui ne donnent pas. Et pour lui, c’est un problème, car la concurrence est rude. Alors ces structures font assaut de papier glacé, de stylos, de carnets de notes, de stickers pour remporter la timbale. Fondation de France, organismes pour mal voyants, mal entendants, paralysés, associations contre la faim, contre les violences, d’aide ou de parrainage d’enfants sans famille, de secouristes en mer, de médecins et de spécialistes en tous genres « sans frontières », contre le réchauffement de la planète, pour replanter des arbres, etc. essaient d’attirer au maximum. Et pour cela, elles font appel à des prestataires.

Ce sont des coûts importants, le marketing et l'acheminement du courrier : environ 25 % du budget. En rapprochant ce pourcentage de la déduction fiscale, le calcul est élémentaire : pour 100 euros de dons, 75 ou 66 vont être financés par l’État ; et sur 100 reçus, 25 vont aller à des prestataires. Finalement, le contributeur finance le prestataire et l’État finance l’organisme. Un montage complexe pour un résultat évident : c’est l’État qui paie. Alors, pourquoi ne pas simplifier ? Augmenter légèrement, très légèrement l’impôt, et laisser l’État subventionner les organismes caritatifs ? 

Mais ce sont souvent des ONG, dira-t-on, et ce serait contraire à la définition d’une ONG. In fine, c’est pourtant l’argent de l’État.

Chacun a la faculté de choisir sa cible, ajoute-t-on. Sûrement, mais il peut exister d’autres solutions, par consultation Internet, notamment. Les moyens techniques le permettent.

Et puis, en désespoir de cause, l’emploi créé. Le marketing amène de l’activité qui engendre des emplois. Certes, mais ne s’agit-il pas d’emplois n’ayant aucune valeur productive ? Qui apportent un statut mais ne génèrent aucune richesse ?

—  Je te reconnais bien là, réagit Quentin après toutes ces explications. Pourquoi tu cherches les complications ? Tu donnes si tu as envie, tu ne donnes pas si…

—  D’accord, d’accord, répond Jean-Bernard.

Il change d’idée à la vue d’un masque sur un placard :

—  Alors, c’est la neuvième ?

—  De Beethoven ?

—  Non, je parle de la neuvième vague…

—  Ah, bon. 

—  Les gens vont devoir tous remettre le masque. Et se refaire vacciner. Chez les plus de soixante, il n’y a que 20 % qui sont à jour…

—  Moi, je n’ai même pas la première dose…

—  Tu es jeune, ça passe… Mais, objectivement, 20 % ce n’est pas si mal pour un pays aussi désobéissant que la France. En fait, le problème, c'est la gratuité. Tout ce qui est gratuit est dévalorisé. Les psychanalystes l’ont bien compris !

—  C’est simplement que les gens en ont marre.

—  Marre sûrement, mais une fois qu’on a dit ça, que fait-on ?

—  On regarde le foot, sourit Quentin.

—  Très bonne idée, réagit Jean-Bernard. Tu viendras à la maison pour la demi-finale contre le Maroc ?

—  Oui, du moment qu’on ne parle pas du Qatar…

—  Là, ça va être difficile !

De toute façon, le mal est fait. Parlons plutôt des Jeux asiatiques d’hiver 2029 en Arabie saoudite…


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

12 décembre 2022

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