Chroniques vingt-et-unièmes — Montrer l’exemple — 31 octobre 2022


 Montrer l’exemple


—  Je me demande si je n’ai pas fait une erreur…

—  Quelle erreur ? interroge Sébastien.

Ils marchent sur les bords de Seine à Louveciennes. Maintenant, les feuilles tombent en abondance après avoir résisté longtemps à la tentation du grand saut vers l’inconnu.

—  La chaudière à fioul, explique Xavier, je l’ai remplacé l’année dernière par une autre aux copeaux de bois – l’avenir paraît-il, l’énergie renouvelable sans limites… –, et résultat des courses, avec la crise, le prix des copeaux a triplé. Des gens se sont d’ailleurs battus dans certains magasins pour en obtenir. Car on est en rupture, évidemment…

—  Oui, mais c’est un progrès…

—  Tu parles d’un progrès… s’esclaffe Xavier. Il me semble qu’avant le pétrole on se chauffait au bois. On exploitait des moulins à vent, qu’on appelle aujourd’hui des éoliennes. Et il n’y a pas si longtemps, avant les années 70, on utilisait toujours le même sac pour faire ses emplettes. Rien de nouveau dans tout ça ! Mais la COP27 qui va démarrer à Charm el-Cheikh va faire du neuf avec du vieux…

—  Les sacs réutilisables, c’est pour éviter de trop recourir au plastique. Tu es quand même d’accord pour limiter l’emploi du plastique qu’on retrouve partout dans les océans…

Xavier s’arrête, mains sur les hanches face à son ami :

—  Le plastique, parlons-en ! Tous les jours, on nous sensibilise pour diminuer notre consommation de plastique, pour ne pas alimenter le « sixième continent ». J’ai assisté récemment au « Rendez-vous de l’histoire de Blois » à une conférence dont le titre était très évocateur : « l’océan plastique ». C’est une image forte, l’océan plastique, ça frappe les esprits… Mais il me semble qu’en France, sauf si je me trompe, la collecte des ordures, dont le plastique, est généralisée. Il est soit recyclé, soit brûlé. Il peut exister bien sûr des accidents, le plastique peut s’échapper de décharges sauvages ou filer directement à la mer, comme cela s’est passé à Marseille après des inondations lorsque les éboueurs étaient en grève. Mais c’est exceptionnel. Par contre, si tu navigues sur le Gange en Inde, le fleuve bleu en Chine, ou sur le Nil en Égypte – je l’ai fait en voyage, alors je peux en parler –, tu verras des tombereaux de déchets plastiques suivre tranquillement le courant jusqu’à la mer. Plus des trois quarts des États dans le monde n’ont pas d’assainissement des eaux ou de traitement des ordures, elle vient essentiellement de là la pollution !

—  Et tu penses que c’est une raison pour ne rien faire ?

—  Mais faire quoi ?

Sébastien répond :

—  Montrer l’exemple, tout simplement.

—  La France avec ses 66 millions d’habitants va montrer l’exemple aux milliards d’autres qui n’en ont rien à faire ?

—  Bien sûr, la France est un grand pays, sa parole porte, contrairement à ce qu’affirment tous les déclinistes.

—  Je ne suis pas décliniste…

—  Je sais, poursuit Sébastien. Donc, ne crois pas que tous nos efforts sont insignifiants. La France, c’est bien plus que la « patrie des droits de l’homme », un discours un peu usé. D’un point de vue géopolitique, elle fait partie des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle demeure la septième puissance économique dans le monde et la troisième en Europe. Et même, si notre industrie périclite, nous restons les champions dans l’aéronautique et dans le luxe. Sans parler de l’automobile : deux leaders mondiaux alors qu’on pensait les voir disparaître il y a vingt ans !

—  Oui, oui…

—  Et puis, il y a le domaine maritime…

—  Quoi, le domaine maritime ?

Ils ont repris leur marche près de la rive. Des touffes de joncs noirs barrent parfois leur chemin. Ils sont obligés de les contourner en évitant d’enfoncer leurs pieds dans le sol encore imbibé des pluies de la veille. Sébastien explique :

—  C’est un énorme potentiel. Tu l’ignores peut-être mais depuis la convention de Montego Bay qui est entrée en application en 1994 – j’ai entendu un spécialiste affirmer que c’était la date la plus importante de son histoire – la France possède la plus grande zone économique exclusive du monde : près de 11 millions de kilomètres carrés. Certains pensent que ce sont les États-Unis, mais ils n’ont pas ratifié la convention. Les zones économiques exclusives, les « ZEE » comme on les nomme, tu peux en être certain, c’est l’avenir !

—  Okay, mais on manque de matières premières…

—  Je te rappelle, Xavier, que la France est le cinquième producteur de nickel grâce à la Nouvelle-Calédonie. Le nickel, c’est indispensable pour l’acier inoxydable et les alliages. Et 15 % du stock mondial de terres rares se trouve en Polynésie française, tu ne le savais pas ? Les terres rares, on en parle beaucoup pour l’électronique et les batteries. Le paradoxe, c’est qu’on entend souvent dire que la France est dépendante pour les terres rares, mais c’est surtout parce qu’on refuse de les extraire à cause de leur exploitation qui est très polluante. On préfère laisser faire le travail à la Chine ! Et je pourrais te citer d’autres exemples…

—  Mais enfin, si on a des matières premières et qu’on ne produit rien !

—  Ce qui vient de se passer avec le coronavirus et la guerre en Ukraine va provoquer une prise de conscience. Cela a d’ailleurs déjà commencé. « L’entreprise sans usine » de monsieur Tchuruk, c’est fini ! On se rend compte que la mondialisation ne peut exister que dans un monde pacifié. Toi-même, tu l’as dit. Or, le monde est loin de l’être, on en a la démonstration. J’espère donc qu’on va relocaliser sur le territoire tout ce qui est possible, et je suis optimiste.

—  Bon, alors je ne veux pas gâcher cet optimisme, conclut Xavier. Et surtout, cette discussion…


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

31 octobre 2022

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