Chroniques vingt-et-unièmes — Adaptation et libre choix — 14 novembre 2022


 Adaptation et libre choix


C’est arrivé, c’était attendu, la population de la terre a atteint huit milliards d’habitants, une multiplication par trois depuis 1950, et d’après les prévisions, elle devrait se stabiliser à dix milliards d’ici la fin du siècle. Et encore, s’agit-il d’un recensement officiel, car on ne compte pas évidemment les enfants non déclarés. Ils sont notamment nombreux en Inde, sans acte d’état civil, ce qui les condamne toute leur existence à vivre comme des ombres, souvent dans des conditions d’esclavage.

Mais ce chiffre, huit milliards, ne provoque pas plus d’émoi que cela, alors Émeline, tout en se rendant à son association d’aide aux réfugiés, s’en étonne. La surpopulation est pourtant selon elle la cause de tous les maux : pillage des ressources, malnutrition, pandémies et, bien sûr, le réchauffement climatique. 

Car il n’est pas nécessaire d’avoir suivi de longues études pour comprendre que la situation est plus difficile à huit milliards d’habitants qu’à un milliard, ce qui était le cas au début du XIXe siècle.

Pourtant, pour la plupart des démographes et écologistes, à l’exception de quelques-uns comme l’Américain Paul Hawkence, cela n’est pas significatif. Le problème serait le niveau de vie. Si huit milliards de personnes vivent à l’image des Américains et des Européens, c’est insoutenable. Si, par contre, les populations adoptent le niveau de vie des pays dits du Sud, c’est supportable. Ce serait donc une question d’adaptation. Il n’est pas certain cependant qu’Européens et Américains aient envie d’adopter le niveau de vie des pays du Sud. Ce serait possible, sans doute, mais au pied du mur et sous l’effet d’un cataclysme. Et c’est d’ailleurs ce qui, probablement, se produira. On ne trouve les solutions que sous la contrainte. L’histoire n’est faite que de problèmes résolus dans la précipitation et, la plupart du temps, dans la violence.

Émeline pénètre dans le hall d’accueil de l’association. Beaucoup de visages fatigués, des douleurs rentrées. Tant de milliers de kilomètres parcourus pour se battre encore afin d’obtenir des papiers. Elle pense à Hamid son « protégé » et se demande combien d’autres migrants vont prendre la route de l’exil pour fuir des conditions d’existence précaires.

Deux facteurs ont contribué à cette explosion démographique. D’une part la diminution de la mortalité, surtout infantile, et d’autre part l’augmentation de l’espérance de vie dans la plupart des régions du monde grâce aux progrès de la médecine. Mais la natalité, d’une manière générale, a tendance à baisser dans tous les pays, et pour ce qui est de l’espérance de vie, on arrive forcément à une limite, et c’est ce qui explique qu’on prévoit une stabilisation de la population à l’horizon 2100. 

 C’est surtout l’Afrique qui détient le palmarès de la progression du nombre de ses habitants et donc des candidats au départ. Un humain sur quatre sera africain en 2050, et un sur trois en 2100, contre un sur six aujourd’hui. On ne l’empêchera pas. Outre les facteurs précédents, c’est aussi le résultat d’un manque de services sociaux. Dans la plus grande partie du continent, pas de sécurité sociale, pas de système de retraite, il ne subsiste que la solidarité familiale, celle qui en France a été remplacée par l’État.

Dans le cas d’une espèce animale, on parlerait pour cette progression démographique générale sur terre de « prolifération ». Mais on se garde bien d’utiliser ce terme en ce qui concerne les humains, ce serait dégradant. Le sujet sera-t-il à l’ordre du jour de la COP27 de Charm el-Cheikh ? Ou du G20 de Bali ? Ce n’est pas sûr. La population demeure un marqueur de la puissance d’un pays. Il faudrait donc que toutes les nations s’entendent, ce qui reste bien entendu une vue de l’esprit.

—  Tu as l’air pensive, observe Mélanie, une autre bénévole.

—  Je cherchais Hamid…

—  Nous n’avons pas de nouvelles depuis trois semaines.

Trois semaines, c’est plutôt bon signe. Il a moins besoin de l’association. La dernière fois, il lui a annoncé qu’il avait déniché un travail stable de serveur dans un bistrot près de Bastille grâce à une régularisation délivrée par la préfecture. D’une certaine façon, sans le vouloir, il contribue à la stagnation à 7 % du chômage en France, car les postes ouverts dans les secteurs en tension – hôtellerie/restauration, soins à la personne, petite distribution… – sont surtout pris par des étrangers. Mais c’est tant mieux pour lui, pense-t-elle. Les 3 164 200 demandeurs d’emploi en « catégorie A » préfèrent attendre de trouver le job qui va leur convenir parfaitement.

Elle n’a rien contre. Chacun choisit sa voie.

C’est tout l’attrait de vivre en France : la liberté de choisir.


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

14 novembre 2022

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