Chroniques vingt-et-unièmes —Ce qui nous aide à vivre — 19 septembre 2022


 Ce qui nous aide à vivre


—  Alors, cette rentrée ?

—  Quoi, cette rentrée ? Attends, je me concentre…

Xavier observe avec attention les pièces alignées devant lui. La partie est commencée depuis un peu plus d’une demi-heure. Elle se tient habituellement le samedi, mais a été repoussée à ce lundi soir pour cause d’empêchement de Sébastien. Celui-ci insiste :

—  Tu la trouves comment ?

—  Comment je la trouve ? Mais normale… Attention ! Vais-je prendre ta tour ou ton fou ?

—  Ah bon ! La rentrée est normale ! Avec les prix qui augmentent partout, les mouvements sociaux qui se profilent, la crise de l’énergie…

Se détournant de l’échiquier, Xavier relève la tête.

—  Mais oui, normale ! Dans le sens où on nous annonce une rentrée agitée tous les ans. La routine, quoi !

—  Ah, d’accord ! soupire Sébastien. Et ça ne te dérange pas que les riches continuent à vivre comme avant ? Comme si de rien n’était ?

Maintenant, Xavier regarde son ami. C’est l’exercice habituel lors de ces parties d’échecs. On joue, certes, mais l’esprit vagabonde. Et où peut-il se fixer ? Sur l’actualité où défilent tous les malheurs du monde.

—  Je vois où tu veux en venir. On parle d’interdire les jets privés et les piscines des particuliers. Sandrine Rousseau s’attaque même à la chasse. Soit. Allons plus loin. Interdisons les voyages en avion ou en train pour agrément. Interdisons aussi les SUV, les jet-skis et les yachts, et, pourquoi pas, tous les bateaux de plaisance. Entre parenthèses, la France est très bien placée dans la construction de jets privés et de bateaux. On les bannirait en France alors qu’on les exporte partout sur la planète. Mais bon, continuons… Interdisons les grosses motos et les maisons. Car tu sais, une maison a un bilan écologique détestable quand on pense aux coûts pour y amener les réseaux, les déplacements qu’elle occasionne, la mauvaise isolation… L’avenir, ce sont les appartements dans des tours, c’est là où l’on consomme le moins. Et puis supprimons les spectacles, les cinémas, les parcs de loisirs, les compétitions sportives, les conférences, les colloques internationaux. Tiens ! Si on le faisait, cela nous éviterait de nous rendre au Qatar pour la Coupe du monde ! Tout cela émet des composés carbonés pour rien, pour nous aider simplement à passer le temps. Et annulons même l’Assemblée générale des Nations Unies qui commence demain ! Tu te rends compte ? Tous ces va-et-vient d’avions privés de chefs d’État et de gouvernement qui après Londres pour les funérailles de la reine filent un jour après à New York ? Limitons aussi les déplacements pour le boulot, n’en usons qu’en cas d’urgence et généralisons à titre définitif le télétravail. Et pourquoi aller sur la Lune ? Sur Mars ? En fait, supprimons l’inutile, le futile, tout ce qui ne sert à rien… Pourtant l’inutile et le futile, ça représente 80 % de l’économie, peut-être même davantage. Parce que, dans le fond, quels sont nos besoins essentiels ? Se loger, se nourrir, se vêtir… les seules choses qui nous sont nécessaires pour vivre. Le reste, toutes ces futilités, c’est ce qui nous aide à vivre, c’est ce qui nous aide à oublier une fin que tout le monde connaît, mais à laquelle personne ne croit. Cependant… Si tu veux retourner à l’âge de pierre…

—  On ne va pas faire de philo… Et comme toujours, tu exagères… Tu ne prendras ni ma tour ni mon fou…

— J’exagère bien sûr, mais j’ai peur qu’à écouter tous ces gens, on s’installe dans un univers de barbelés. Le risque est d’ouvrir une boîte de pandore insondable.

—  On peut quand même agir sur les superprofits !

Léger gloussement de Xavier.

—  Ah, les superprofits ! La fiscalité en France, c’est le concours Lépine permanent, alors que justement la fiscalité a besoin de stabilité pour être efficace. Ça ne me dérange pas que les taux d’imposition soient de x ou y pour cent, qu’ils soient trop hauts ou trop bas, mais qu’on arrête de les modifier sans arrêt ! Pour plagier notre président qui a quelquefois de bonnes reparties, « on ne va pas faire Cuba sans le soleil ».

—  C’est mauvais… Et les superdividendes, ça ne t’interpelle pas ? 66 milliards, rien que pour cette année ! Une augmentation record !

—  Oui, mais on part de très loin…

—  Pardon ?

Sébastien affiche un air indigné, mais Xavier se demande s’il ne s’y dissimule pas une part de théâtre. Alors il répond d’une voix douce.

—  Il me semble que nous avons déjà eu cette discussion. 66 milliards, ça paraît important dans l’absolu, mais si tu les rapportes au PIB français de 2 500 milliards, cela représente 2,6  %. Avant impôts et prélèvements sociaux, je précise, car, in fine, ce ne sera plus que 1,6 % net. Les entreprises, elles, conservent à peu près 7 % pour investir, et les salariés, 33 %, toujours après impôts et taxes. Le reste, environ 58 %, c’est pour l’État et les systèmes sociaux, ce qui constitue aussi un record pour les pays de l’OCDE. Tu crois que 1,6 % pour les dividendes c’est trop ? C’est simplement pour rémunérer le risque… Je me demande s’il est vraiment utile d’attiser les braises…

—  Comment tu sais tout ça ?

—  Mais les chiffres, Sébastien, on les trouve, il suffit ensuite d’une petite règle de trois…

—  Et Total qui ne paie pas d’impôts en France, ça t’est égal aussi ? 

—  Je n’ai pas d’actions chez Total, mais si la société Total ne paie pas, ou presque pas, d’impôts en France, c’est parce qu’elle les paie à l’étranger, et ceci du fait que l’essentiel de son activité est à l’étranger. Total est une société française qui travaille à l’étranger. De même, les sociétés étrangères qui exercent en France paient leurs impôts en France et cela ne choque personne.

—  Ouais, ouais…

—  Remarque, continue Xavier, je préfère parler de ça plutôt que du burkini à Grenoble ou du karting à Fresnes. On est très fort en France pour les tempêtes dans un verre d’eau. Ceci dit, la Finlande n’est pas mal non plus avec la soirée dansante de la Première ministre. C’est une pure soirée privée qui s’est retrouvée sur les réseaux sociaux ! Pour l’auteur de la diffusion, c’est comme s’il avait fait les poubelles.

—  Mais on demande l’exemplarité !

Sébastien a abattu son poing sur la table en prononçant ces mots. Dommage, car trois de ses pions se sont déplacés. Sa reine, elle-même, est renversée. En ce jour de funérailles d’Elisabeth, certains y décèleraient un signe.

—  C’est intéressant ce que tu dis, poursuit Xavier après avoir fixé un instant les dégâts causés par le geste de son adversaire. On veut toujours que nos gouvernants nous ressemblent, qu’ils soient comme nous, qu’ils soient des gens normaux – ça me rappelle un président –, mais on leur demande en même temps de montrer l’exemple, d’être au-dessus de la mêlée avec toutes les vertus. Pas facile…

—  Quatennens l’a fait, lui, il s’est mis en retrait !

—  Je préfère me mettre aussi en retrait de cette affaire. Trop de tapage médiatique… Je note simplement que déposer une main courante pour une gifle reçue est une réponse appropriée !

—  Plaisanterie douteuse…

—  Je te l’accorde !

Et Sébastien reprend :

—  Revenons à la rentrée. L’agitation sociale ne te fait pas peur ?

—  Pas plus que ça. Lors de sa rentrée politique, Jean-Luc Mélenchon a appelé à la « mobilisation générale » et à une « radicalisation ». Sur la forme, ça me gêne un peu dans une période de guerre en Ukraine. En temps de guerre, « mobilisation générale », ça veut dire quelque chose. Et sur le fond, rien de bien nouveau. Depuis Marx, on cherche à abattre le capitalisme. Le congrès de Tours de 1920 donnant naissance au parti communiste avait pour but en France de concrétiser ce rêve. Parce que pour ceux qui le combattent, le capitalisme est la source de tous les maux. Mais on ne parvient pas, malgré toutes les tentatives – infructueuses, il faut bien l’admettre –, à s’en passer, car il semble faire partie de l’essence de l’homme, que l’on pourrait définir, selon sa fibre politique, comme l’appât du gain, ou la soif de réussite. Le capitalisme doit même remonter au Néolithique, il y avait déjà ce fossé entre ceux qui possédaient les animaux et les cultures, et ceux qui travaillaient pour eux. Peut-être d’ailleurs au Paléolithique, mais là, je ne me prononce pas. 

—  Évidemment, si on remonte aussi loin… En fait, tu défends toujours le gouvernement…

Xavier paraît réfléchir puis ajoute :

—  Je n’ai pas non plus d’actions chez Macron, mais peut-être que mon défaut, c’est d’être légitimiste. Il a été élu pour cinq ans, on lui a donné mandat, voyons ce qu’il va faire. Sinon, à quoi servent les élections ? Si c’était Le Pen, Mélenchon ou même Poutou qui avait gagné, j’aurais une attitude identique. Je dirais : « T’es aux commandes, d’accord, alors montre ce que tu sais faire ! » Il me semble qu’on appelle ça la démocratie… à moins que je ne me trompe…

—  Oh, et puis j’arrête ! On ne peut pas discuter avec toi ! l’interrompt Sébastien en écartant l’échiquier.

—  Ça, par contre, c’est un coup d’État !


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

19 septembre 2022

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