Chroniques vingt-et-unièmes — Un futur si prévisible — 4 juillet 2022




 Un futur si prévisible


Le Gouvernement d’union nationale, que l’on aurait pu appeler le « GUN », un gouvernement de combat, est mort-né. Les coalitions, on n’y pense même pas, et les compromis pas davantage. Entre adversaires, on peut parvenir à s’entendre, mais entre ennemis, c’est une lutte où chacun cherche à terrasser l’autre. La France ne sera pas bloquée, elle restera immobile comme elle sait si bien le faire depuis tant d’années. Elle se morfondra sur le quai à contempler les trains qui passent, de peur de choisir la direction qui la tiendra hors du danger.

Xavier hoche la tête en songeant à la situation. Il arpente avec Émeline la plage de La Baule. Ils ont préféré cette période avant le rush pour profiter des journées longues.

Peu d’enfants, beaucoup de retraités, mais on sent une fébrilité. Les professionnels ont fait le plein de réservations après plusieurs années noires, il était urgent de restaurer les marges.

La pause après une séquence politique interminable. On feint d’oublier la rentrée qui paraît lointaine, mais elle se prépare déjà en coulisses.

Elle sera forcément « chaude » comme on l’annonce tous les ans à cette époque. Après ces deux mois d’insouciance, les revendications ressurgiront, plus abruptes, plus exacerbées. La justice et la police réclameront toujours des moyens, les hôpitaux resteront au bord de l’apoplexie, l’Éducation nationale se raidira davantage, les fournitures scolaires seront trop chères, les crèches manqueront de places, les agressions sexuelles entre bambins s’y multiplieront, la rue se chargera de cortèges contre la réforme des retraites, les routiers bloqueront les voies de circulation, la dette poursuivra son ascension vertigineuse alors que les taux ne cessent de grimper eux aussi, la menace d’attentat continuera de planer, la septième vague de covid frappera, l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires sera jugée insuffisante, l’audiovisuel public se battra contre la suppression de la redevance, les attaques à la seringue dans les rassemblements proliféreront (il fut un temps où l’on parlait du « parapluie bulgare »), les refus d’obtempérer se banaliseront, on importera encore du miel frauduleux, la moutarde de Dijon qui provient probablement d’Ukraine désertera toujours les rayons…

Et en dehors des frontières, le conflit va s’éterniser en Ukraine, la Russie va s’isoler un peu plus, la guerre civile ravagera le Yémen et l’Éthiopie, la dictature perdurera en Birmanie, la Chine populaire lorgnera de plus en plus sur Taïwan, la Corée du Nord lancera de nouveaux missiles, les migrants s’entasseront en plus grand nombre sur la rive sud du Rio Grande, devant les grilles de Ceuta et de Melilla, ou sur les îles de Lampedusa et de Lesbos, quand d’autres subiront dans des camions ce qu’on n'inflige pas à des animaux.

Sans oublier le réchauffement climatique qui ne marquera pas de pause.

Tous ces événements étant si prévisibles, on peut se demander à quoi servent les médias qui annonceraient ainsi des épisodes déjà largement anticipés. Des économies de rédaction et de journalistes seraient alors envisageables.  Seulement, les problèmes ne viennent jamais d’où on les attend. Ces dernières années, peu ont prédit (à part Bill Gates qui en 2015 tirait le signal d’alarme au vu de la promiscuité des porcs et des volailles dans les élevages chinois) la pandémie qui a submergé le monde, ou bien la guerre en Europe. En fait, tout peut arriver. On a bien vu Éric Coquerel, ancien militant de la Ligue communiste révolutionnaire, qui toute sa vie a honni l’argent, et dont le parti ne veut pas honorer la dette de la France, devenir président de la Commission des Finances, la fameuse « ComFi ». Une sorte de rédemption ou un moyen de s’introduire dans le système pour l’abattre de l’intérieur, l’avenir le dira.

Mais l’avenir, ce n’est pas pour tout de suite, il faut d’abord profiter de l’été.

Il est six heures de l’après-midi, ciel et océan se confondent à la lisière de l’horizon, on sent le vacarme de la marée, de la mer qui monte et bouscule les obstacles de sable dressés devant elle par les enfants qui piaillent. La fournaise recule légèrement et la plage s’est remplie. Mais ce n’est pas encore le rush de la semaine prochaine, lorsque les écoles se seront vidées et glisseront doucement dans la torpeur.

À présent, Xavier et Émeline remontent la grève à petits pas vers la promenade du front de mer, non loin du casino. Le vent est tiède, soulève leurs casquettes. Au passage, une petite fille se baisse devant eux, traînant d’une main un énorme râteau qui la dépasse de sa taille, et serrant de l’autre un assortiment de coquillages. Xavier ressent un flash, la vision de Ludivine à peine une quinzaine d’années plus tôt, au même endroit, dans la même tenue, la même position, concentrée sur la même tâche. Dans quinze ans, la fillette reprochera à ses parents de lui laisser une planète encore plus bousillée qu’aujourd’hui. Là aussi, le futur est si prévisible ! Il en a été ainsi de tous les temps, chaque génération pousse ses récriminations vers la précédente. Soupir de Xavier, il aimerait que la parenthèse de ces deux mois s’installe comme une douce éternité.

—  Tu as l’air soucieux, lui dit Émeline en faisant claquer ses chaussures sur le bitume.

—  Mais non, tout se présente si bien…


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

4 juillet 2022

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