Chroniques vingt-et-unièmes — Une avancée sociétale ? — 6 juin 2022


 Une avancée sociétale ?


—  Bravo ! s’exclame Ludivine, hésitant à lâcher son smartphone pour applaudir.

Elle est affalée sur le canapé du salon, scrollant de ses doigts agiles depuis une demi-heure (avec le temps, comme beaucoup de jeunes, elle a acquis une maîtrise formidable à cet exercice). Xavier replie son journal, fronce les sourcils, intrigué, et Émeline relève la tête de ses mots fléchés. Elle demande : 

—  Une bonne nouvelle ?

—  Oui, ce qui vient d’être voté en Suède, la loi sur le « consentement sexuel explicite ». Vivement qu’on ait ça en France !

Xavier en a vaguement entendu parler ;       l’Espagne,  sur  le    modèle de la Suède, a inscrit le « consentement sexuel explicite » dans son code pénal. Cet article, qui s’accompagne d’un délit de « harcèlement de rue » (reste à en définir les contours), impose un consentement explicite à tout acte sexuel, pour éviter que l’un ou l’autre des protagonistes – généralement l’homme s’il s’agit d’un couple hétérosexuel – tombe sous le coup d’une accusation de viol. Le « Quand c’est non, c’est non » laisse la place au « Si ce n’est pas oui, ce n’est pas oui ». C’est une tentative d’éradiquer toutes ces zones d’ombre que peuvent constituer le « Ni oui, ni non », le « Oui, mais » ou le « Oui si », quand ce n’est pas le « Oui, peut-être » ou le « Oui, pourquoi pas ». Mais aussi un certain romantisme. Est-ce une avancée sociétale ? Ludivine a l’air fermement d’y croire, comme les mouvements féministes dans leur ensemble. On s’en serait douté, Xavier est plus circonspect sur le sujet – il sent une algorithmatisation rampante de la société –, mais il n’a pas envie de battre encore le fer contre sa fille.

En Suède, où cette loi est en vigueur depuis 2018, « le consentement doit être exprimé par les mots, les gestes ou d’une autre manière ». Mais en considération du fait qu’en cas de litige il n’y a pas toujours un tiers de confiance dans la pièce pour témoigner d’un accord préalable avant les ébats amoureux, et qu’un document peut s’aviser pesant à écrire et couper court à toutes velléités de tendresse, des applications ont vu le jour où chacun peut inviter son partenaire à un acte sexuel, lequel partenaire doit en retour manifester son accord par le même canal. Un moyen d’assurer la traçabilité de la décision, en suivant les normes ISO 9001, et d’écarter toute insécurité juridique. On en est là !

Finalement, conclut Xavier, le processus n’est pas très différent d’une transaction immobilière. Le vendeur fixe le prix d’un bien et attend que des acheteurs potentiels lui fassent une offre. Il choisira l’offre la plus attractive ou, s’il existe plusieurs offres à un prix identique, la première dans le temps. La transaction s’engagera s’il accepte formellement cette offre.

Xavier sourit, tout ceci s’apparente à la fameuse « marchandisation du corps » qui est le cauchemar des féministes.

—  Ça te fait rire ? interroge Ludivine.

—  Non, non, non. C’est toujours plaisant d’aller vers un monde meilleur.

Elle bougonne et se méfie. Elle ne sait jamais s’il faut prendre les réflexions de son père au premier degré. Et dans une actualité où les incidents du Stade de France occupent tous les écrans, il se demande où elle a pêché cette information. Elle aurait pu tout aussi bien parler du « nettoyage ethnique » qui se poursuit au Tigré ou de la guerre qui n’en finit pas au Yémen, qui laissent des milliers de morts et ne font l’objet que de quelques entrefilets. Il lui pardonne toutefois de ne pas avoir fait allusion à la pénurie de blé noir à laquelle doit faire face la Bretagne du fait du conflit en Ukraine, ce qui menace terriblement la saison touristique, les estivants étant très attachés aux galettes de sarrasin authentiques.

Il réfléchit maintenant au Stade de France. Ce n’est pas la première fois qu’on s’en prend à ceux qui n’ont pas empêché le drame plutôt qu’à ceux qui l’ont commis, c’est presque devenu la routine, comme s’il existait d’un côté des personnes non responsables, pas vraiment considérées comme des adultes, et de l’autre des êtres investis du pouvoir d’écarter tout problème et résolument coupables s’ils n’y sont pas parvenus.

Il est sans doute asocial, car si ça ne tenait qu’à lui, il licencierait tous les joueurs de foot, payés des fortunes, et il supprimerait ce type de compétitions. Mais on risquerait là plus qu’une révolution, il n’y a eu dans le passé que l’empereur Théodose et son fils Honorius pour oser s’attaquer aux demi-dieux et abolir les jeux du cirque.

—  Le rôti est prêt ! lance Émeline, satisfaite que le ton ne soit pas plus monté entre son mari et Ludivine. Dimanche s’annonce paisible.


FIN


https://gauthier-dambreville.blogspot.com

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

6 juin 2022

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Chroniques vingt-et-unièmes — Ce qui permet de vivre et d’espérer — 29 janvier 2024

Chroniques vingt-et-unièmes — Aboutir à des impasses — 5 février 2024

Chroniques vingt-et-unièmes — L’année 2024 n’est pas finie — 1er janvier 2024