Chroniques vingt-et-unièmes — Une petite pause — 2 mai 2022


 Une petite pause


Hubble n’est pas mort, simplement vieillissant, il l’a encore prouvé en remontant presque à l’origine de l’Univers, en découvrant une étoile, baptisée Earendel, dont la lumière émise au moment où celui-ci était tout jeune (seulement 900 millions d’années) a mis 12,9  milliards d’années à nous parvenir. De surcroît pendant une période intéressante, lorsque l’hydrogène et l’hélium y étaient les uniques éléments. Earendel est la plus lointaine étoile jamais observée, plus âgée que notre Voie lactée dont la naissance est estimée à - 13 milliards d’années, et elle serait deux millions de fois plus lumineuse que le Soleil pour une masse cinquante à cent fois supérieure. C’est peut-être pour cette raison que Hubble l’a aperçue, mais cela n’en reste pas moins un exploit.  Le télescope James-Webb, qui vient d’aligner ses miroirs, va pouvoir en profiter de son point de « Lagrange L2 » à 1,5 million de kilomètres de la terre, et orienter son objectif dans cette direction. 

Cette information laisse le professeur Marcus rêveur, ou somnolent, c’est selon, sous la chaleur d’avril. Il réajuste son chapeau, desserre son éternelle écharpe rouge, étire ses jambes, et tandis que les poussettes creusent leur sillon près du banc où il est assis dans le Jardin des Plantes, il réfléchit. Hubble, on n’y croyait plus. Lancé en 1990, il a plus que rempli sa fonction, il devrait d’ailleurs être en retraite, mais il a rendu tellement de services qu’on l’a bichonné lors des différentes missions de maintenance, et prolongé ainsi son existence. Un bon point pour les seniors.

Si Edwin Hubble avait su que son patronyme resterait à la postérité… Mais si, soyons réalistes, il devait s’en douter. L’astronome américain est connu pour la fameuse loi qui porte son nom, celle qui établit que les galaxies s’éloignent les unes des autres à une vitesse proportionnelle à leur distance. Ce n’était pas à la portée du premier venu de la démontrer, cette loi ; on aurait naturellement tendance à penser l’inverse. « S’éloigner plus rapidement parce qu’on est plus loin », c’est contraire à l’entendement.  Pour tenter de le comprendre, on doit s’imaginer les galaxies disposées sur l’enveloppe d’un ballon dans lequel on soufflerait. Cependant, Hubble, répugnant sans doute à s’engager sur un terrain plus métaphysique, n’a pas répondu à cette question cruciale : qui est le souffleur ? Mais il faut être un scientifique aguerri comme Marcus pour savoir que l’entendement est une notion subtile, difficilement partagée par tous, brouillée par les sens et par la conception que l’on se fait du monde. Et avant de démontrer qu’elles s’éloignent, il était nécessaire de prouver qu’il existe des galaxies en dehors de notre Voie Lactée. Mais c’est précisément ce que Edwin Hubble, en bon chercheur qui avance chaque pas l’un après l’autre, avait fait au préalable. Il y a moins d’un siècle, en 1924. Quand on y pense, c’est une découverte vertigineuse – l’infini s’est soudainement peuplé – qui a rendu plus dérisoires nos vaines querelles terrestres. On lui doit donc bien cet hommage.

Un bruit sourd. C’est Louis qui pose sa carcasse imposante, ses cent kilos de graisse et d’amitié sur le banc à côté de lui. Comme Marcus, il a terminé ses cours pour la journée. L’agitation monte chez leurs étudiants, ils l’ont constaté, Jussieu s’enrhume, et ce n’est pas le coronavirus qui en est responsable.

Le virus, ça reste le principal sujet de préoccupation de Louis. Chassée par la campagne présidentielle et la guerre en Ukraine, l’épidémie est sortie du halo des projecteurs médiatiques, mais il n’en demeure pas moins que plus de 1 600 personnes occupent toujours les salles de réanimation, sans que ce chiffre baisse, et que 130 autres en moyenne, non vaccinées ou immunodéprimées, suivent quotidiennement le chemin glacé et silencieux de la morgue.

La cause en revient aux « virusosceptiques » qui n’arrêtent pas de « prendre du recul » jusqu’à trébucher et tomber en arrière. Et des parents inquiets d’immuniser leurs enfants.  Ce qui est à blâmer, selon Louis qui s’insurge une nouvelle fois (terminé, Hubble !), c’est le déficit d’explications pour nous décrire ce qu’est l’ARN messager. 

Car Louis s’y est intéressé de près. Lorsque l’organisme est attaqué par un agent exogène, il se défend en sécrétant des anticorps pour les contrer. Pour que ces anticorps soient sécrétés, il faut que la cellule, plus précisément son noyau, envoie une information en dehors d’elle-même vers le cytoplasme, là où les protéines sont fabriquées par le ribosome. Cette information porte un nom : l’ARN messager. Les vaccins classiques, produits à partir de virus « atténués », poussent la cellule ainsi infectée, même modérément, à émettre cet ARN messager afin que les anticorps soient fabriqués par le ribosome. Or, dans le cas des vaccins à ARN messager, on gagne deux étapes. L’ARN messager directement injecté va permettre au ribosome de fabriquer immédiatement les anticorps sans que la cellule soit infectée et réagisse à son tour. Elle est court-circuitée, en quelque sorte. Et en aucune manière, l’ARN messager ne peut modifier le génome puisqu’il ne s’agit que d’une information. C’est comme un SMS que l’on enverrait. Pourrait-on confondre un SMS évoquant un révolver avec le révolver lui-même ? Autre avantage, il est beaucoup plus facile et rapide de concocter en laboratoire de l’ARN messager que de suivre toute la chaîne de production des vaccins classiques basée sur la mise au point d’un virus atténué. On gagne ainsi un temps précieux face à une épidémie. On l’a d’ailleurs constaté avec les vaccins Pfizer et Moderna utilisant cette technologie. 

Et Louis vaticine : 

—  C’est un palier qui vient d’être franchi en exploitant le procédé à grande échelle. Bientôt, on pourra pratiquer de la même façon pour le vaccin contre la grippe. Aujourd’hui, il faut six mois entre le moment où l’on observe le virus annuel dans l’hémisphère sud durant l’hiver austral et celui où le vaccin correspondant est opérationnel pour l’hémisphère nord. Mais six mois, c’est long, le virus a toute latitude pour muter et ce qui explique l’inefficacité relative du vaccin contre la grippe. Avec l’ARN messager, le délai sera considérablement réduit, et le vaccin « collera » bien davantage au virus.

—  Tu as sans doute raison, répond Marcus en enfonçant son chapeau un peu plus bas sur sa tête pour esquiver le soleil qui à présent frappe dur.

Il aurait voulu aborder aussi ces nouvelles épidémies qui se développent : piqûres dans les boîtes de nuit, coupures de fibres optiques, incendies de bus électriques…

Mais son ami dirige maintenant ses yeux au loin et lui cherche également un instant de rêverie. 

Une petite pause pour ralentir la course vers le futur.


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

2 mai 2022

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