Chroniques vingt-et-unièmes — Ce n’est pas si mal — 4 avril 2022




 Ce n’est pas si mal


Le professeur Marcus n’en est pas à sa première campagne présidentielle, loin de là, mais un aspect l’a encore frappé, peut-être plus que les fois précédentes : c’est la prétention des candidats à mettre en place des réformes dès lors qu’ils seront au pouvoir, sans tenir compte des contre-pouvoirs. 

Décliné autrement, il y a aussi ce malentendu persistant dans la relation avec les Français, qui revient tous les cinq ans, basé sur l’idée selon laquelle le chef de l'État disposerait de tous les leviers pour changer la France, et dans la foulée l’Europe, voire le monde. Là encore, c’est ignorer tous les contre-pouvoirs, que l’on peut nommer aussi obstacles, handicaps ou entraves.

Ces contre-pouvoirs représentent toute la différence entre une promesse affichée et une promesse non tenue ; ils sont de diverses natures.

On pense d’abord aux institutions : le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État, la Cour des comptes, le Sénat. Toute loi votée à l’Assemblée devra s’y confronter. Et pire : nombre de propositions de candidats nécessiteront des réajustements constitutionnels, lesquels ne peuvent être approuvés que par référendum (au résultat généralement aléatoire, le passé l’a montré) ou par les deux chambres réunies en Congrès, avec une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.  Cette majorité a malheureusement peu de chance d’être atteinte, compte tenu de la couleur politique du Sénat. Dans le cimetière des promesses non tenues, on trouve ainsi la « réduction du nombre de parlementaires » ou la « dose de proportionnelle » à introduire à l’Assemblée.

Toujours dans le domaine institutionnel, les contre-pouvoirs en dehors de nos frontières s’appellent l’Union européenne, la Cour de Justice de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour pénale internationale, l’ONU, l’Organisation mondiale du commerce, l’Organisation mondiale de la Santé… en bref tous les traités internationaux que la France a signés. Elle n’y a pas été contrainte le pistolet sur la tempe, elle les a paraphés de son plein gré. Et ces institutions, il faut les respecter ; ces traités, il faut les honorer. Sinon, à quoi servirait la parole donnée ? Mais beaucoup de candidats l’oublient, ou feignent de l’oublier, dans les mesures qu’ils proposent, comme si cette parole donnée n’engageait que ceux qui consentent à l’écouter.

Voilà pour les institutions. Il existe bien d’autres freins ou difficultés, en premier lieu la presse, celle qu’on désigne par « quatrième pouvoir », après les trois constitués par l’Exécutif, le Parlement et la Justice. Ce quatrième pouvoir s’est trouvé augmenté depuis une dizaine d’années par les chaînes d’information en continu, à l’influence redoutable, que l'on devrait d’ailleurs plutôt appeler chaînes de discussions ou d’émotions en continu, tellement la place de l’information y est réduite par rapport aux bavardages.

Pour continuer, on n’omettra pas évidemment les syndicats et les organisations professionnelles qui savent largement se faire entendre. Mais aussi, moins conventionnels, les associations et les collectifs de toutes natures qui font pression selon les événements. Sans négliger non plus les artistes et les intellectuels, experts à lancer des tribunes comme autant de petits cailloux auxquels se raccroche et se façonne l'opinion publique. Et comme si cela ne suffisait pas, l’omniprésence des réseaux sociaux, au poids toujours plus important, corrosifs et binaires.

Enfin, en dernier ressort, la rue. La rue qui n'hésite pas à s’opposer à des réformes pourtant dûment adoptées par le Parlement. Exemples emblématiques : le CPE et l’écotaxe. La loi sur le CPE est ainsi votée en 2006. « Votée mais non appliquée » si on s'en tient aux propres termes du président de la République de l’époque. De même, l’écotaxe, engagement du « Grenelle de l’environnement » de 2007, est approuvée en 2008 mais suspendue en 2014 (elle l’est encore !) au moment où elle va être mise en œuvre, suite à la révolte des bonnets rouges bretons. Un clin d’œil à la rébellion de leurs aïeux qui protestaient en 1674 contre la pluie fiscale s’abattant alors sur le royaume pour financer la guerre contre la Hollande.

Et le fait que des réformes aient été clairement portées durant leur campagne par des candidats finalement élus n’y change absolument rien. Les réfractaires sont là et s’y opposent, on l’a constaté pendant les trois derniers quinquennats. C’est un rapport trouble et ténu avec la démocratie, ces rebelles n’y adhérant qu’à condition que le résultat leur soit favorable. L’art de la politique consiste ensuite à déterminer si on peut agir, en tenant compte du « niveau d’acceptabilité » de la population.

Sur  ce  plan,  la  couleur  a  déjà  été  annoncée.  On  prédit,  comme  à  l’habitude, un « troisième tour social ». Si, au moins, on réussissait à conserver son calme… Mais tous ces assauts d’invectives, d’insultes, de haine dans cette campagne qui, paraît-il, n’a pas eu lieu ! 

Marcus, qui jusque-là a toujours été un supporter inconditionnel du scrutin majoritaire afin qu’un parti puisse gouverner avec toute la latitude souhaitée, se demande si, finalement, un système à l’allemande ne serait pas meilleur au vu des récentes évolutions. Là-bas, c’est le Bundestag élu à la proportionnelle qui décide du futur chancelier, le véritable chef de l’Exécutif. Les coalitions s’y avèrent souvent indispensables pour constituer une majorité, et même si les alliances opportunistes et de dernière minute se font dans le dos des électeurs, les formations qui savent qu’elles peuvent être amenées à diriger le pays ensemble gardent une certaine retenue durant la période qui précède, ce qui manque cruellement chez nous. Par exemple, la CDU, le parti conservateur, a laissé depuis peu la place en douceur au SPD social-démocrate resté longtemps minoritaire au sein d’une coalition (tout en ayant le portefeuille des Finances) pilotée par Angela Merkel, sans qu’on assiste à un psychodrame. La France devrait y réfléchir.

Le plus dérangeant sans doute pour Marcus, indépendamment de ses opinions politiques (son fils Thomas, adepte d'une démocratie beaucoup plus affirmée, développerait forcément un sentiment contraire) est ce procès en légitimité qui s’est développé ces dernières semaines pour le président sortant, s’il était reconduit. Parce qu’il refuse de participer à un débat durant la campagne du premier tour, un exercice auquel ne s'est livré aucun de ses prédécesseurs ? Un débat qui, s’il avait lieu, serait totalement asymétrique puisqu'il n’aurait pas la possibilité de répondre, au vu du temps qui lui serait réservé, à toutes les attaques dont il ferait l’objet. Alors, s’agit-il d’une analyse lucide ou d’une repartie de mauvais perdants face à une défaite attendue ? Entendre ces propos de la part du président du Sénat, « Deuxième personnage de l’État », a révulsé Marcus. Et la postulante LR y est allée aussi de sa voix, annonçant une « saison 2 » des gilets jaunes après l’élection. C’est ouvrir la voie à toute future contestation, c’est justifier toute violence à venir, c’est se comporter en incendiaire.

Dangereux, très dangereux.

C’est pour cette raison que le professeur Marcus votera,  mais sans aucune illusion de réforme d'ampleur, ou même de changement modeste, si ce n’est à la marge. Et peu lui importe, car il n’a jamais beaucoup attendu de l’État, en dehors de son rôle régalien, contrairement à nombre de ses concitoyens. Il a toujours fait confiance à sa propre capacité d’anticiper et de s’adapter à l’évolution du monde, sans nuire aux autres. Et ce n’est pas si mal…


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

4 avril 2022

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