Chroniques vingt-et-unièmes — Un monde paré de vertus — 22 novembre 2021


 Un monde paré de vertus


Le bilan de la COP26 est loin de susciter l’espoir, c’est l’impression qui se dégage pour tous ceux qui suivaient avec attention et angoisse ses résolutions. Les commentaires sarcastiques ont fusé, Gretha Thunberg, visage crispé, y est allée de son éternelle dénonciation du « bla-bla-bla », le maître de cérémonie, le Britannique  Alok  Sharma,  a  pleuré  devant  un  résultat  aussi  mince, s’excusant pour la « profonde déception » qu’il sentait dans l’assistance.

La conférence était pourtant qualifiée de « réunion de la dernière chance », l’ultime round pour éviter le point de non-retour, pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C, alors que la trajectoire actuelle est 2,7 °C, mais le balai des 400 jets privés pour transporter les VIP n’y a rien fait, ni les manifestations pour la justice climatique qui ont émaillé les rues de Glasgow durant deux semaines.

Tout n’est pas si négatif cependant, on a évoqué des aspects concrets comme le méthane enfoui dans le permafrost et la déforestation galopante, on a encouragé les États à rehausser pour la prochaine COP leurs engagements pris lors de celle Paris en 2015, même si à la dernière minute, dans ce qui est devenu le « Pacte de Glasgow pour le climat », l’Inde et la Chine ont fait remplacer « l’abandon du charbon » par « la diminution du charbon ». Sinon, il aurait fallu se passer d’eux pour l’accord. Et comment se passer de pays qui à eux deux représentent près de trois milliards d’habitants ? Car c’est le problème de ces accords. Pour parvenir au consensus de tous (ils étaient 196 participants), on en réduit la teneur jusqu’à les vider d’une partie de leur substance.

Derrière ce recul, on croit deviner les motivations. Les objectifs de zéro carbone à des horizons très lointains incitent à exploiter d’ici là au maximum les ressources énergétiques du sol dont on dispose – gaz, pétrole, charbon – avant qu’elles ne soient inutilisables, un effet très contre-productif qui va accélérer les émissions de CO2. On réclamait le gel immédiat de tout investissement dans ces  ressources mais c’est le contraire qui va arriver. Une contradiction de plus dans un monde de tensions.

Et les pays « vulnérables » (Bangladesh, Guinée-Bissau, Sierra Leone, Haïti, Soudan…) ont dénoncé l’égoïsme des pays riches, ils n’ont pas obtenu ce qu’ils exigeaient, à savoir un financement international pour lutter contre les conséquences du réchauffement, notamment contre les méga-incendies et la montée des eaux. Un financement évalué à 570 milliards de dollars par an qui aurait été alimenté par une taxe sur les énergies fossiles, une sorte de compensation pour les milliards de tonnes de CO2 déversés depuis le début de la révolution industrielle pas ces mêmes pays riches.

Voilà ce que, factuellement, rapportent les médias. Un résultat qui n’est pas de nature à ébranler Xavier puisqu’il s’y attendait. 

Il pense de toute façon qu’il existe un malentendu. On demande aux États d’agir alors que la solution se trouve certainement dans les mains de chaque individu. Car ce sont les individus qui consomment et non pas les États. La production à l'aide de ces énergies que l'on veut considérer du passé ne fait que répondre à une soif toujours plus intense de consommation.

Mais pour les écologistes français, le responsable de cet échec serait le président Macron qui n’aurait pas su entraîner l’Europe pour qu’elle pèse suffisamment fort dans les négociations. On lui prête ainsi des pouvoirs de surhomme. Surprenant de la part de ses adversaires !

« Argument électoral », pense Xavier. Chirac, Sarkozy, Hollande auraient eu des marges de manœuvre aussi limitées.

Pour économiser les ressources de la terre, il faudrait selon toutes probabilités que les presque huit milliards d’humains consentent à vivre comme on vivait au XVIIIe siècle. Accepter de s’éclairer à la bougie, de se chauffer avec des bûches ou de la bouse de vache, de se déplacer en charrette à cheval. Revenir aux moulins à eau et à vent pour actionner les usines. Et bien sûr se délester des écrans de toutes natures – tablettes, smartphones, télés – des SUV, du chauffage central, de la climatisation. Renoncer aux voyages en avion et en train, ou du moins uniquement en cas d’extrême urgence. Il n’est pas certain que ce retour au passé suscite un engouement, même chez les plus ardents partisans d’une transition écologique sociale. À part certains survivalistes comme Yves Cochet.

Xavier lance par la fenêtre de son salon son regard vers les bois dépouillés. Un commencement d’hiver s’installe, la brume plane sur les maisons, les cheminées fument… 

Il songe à Ludivine, elle n’a pas atteint l’âge de ce détachement, et pour elle, tout est différent. Comme nombre de sa génération, elle avait conditionné tout son avenir à cette conférence, et bien entendu, c’est la douche froide. 

Et Xavier s’inquiète. Elle semble atteinte du syndrome d’éco-anxiété qui toucherait plus de la moitié des jeunes interrogés dans le monde. Comme eux, elle se sent en détresse, pensant l’humanité inexorablement condamnée. À l’entendre, défilent dans ses rêves des visions de terres submergées, de régions complètes ravagées par la désertification, de cyclones à répétition balayant des zones habitées. Elle se réveille à l'aube plus fatiguée que la veille, gagnant la fac à reculons, se demandant, la gorge nouée, comment elle peut contribuer à renverser un processus qui paraît inéluctable. Et son angoisse redouble quand elle constate comment la situation échappe à tous ceux qui l’entourent, qui continuent à vivre, sans aucun tourment, prêtant une oreille distraite aux calamités qui secouent la planète.

Bien qu’il soit seul, Xavier hoche la tête. Ludivine lui jette souvent les mots de « no future » en pleine figure, mais il s'interroge : l’avenir des jeunes en 1914, 1940, ou en 1960 –  quand on s’attendait chaque matin à ce qu’une bombe nucléaire vienne mettre fin à la civilisation – était-il plus enviable ? Il a oublié ce qu’il pensait à vingt ans lorsqu’il avait son âge, mais peut-être s’agit-il d’un apprentissage obligé pour mieux apprécier ensuite ce merveilleux don qu’est la vie.

Et il s’insurge. Malgré les accusations de sa fille, il ne se sent pas pour autant atteint d’un sentiment de culpabilité. Sa génération et la précédente ont laissé à la nouvelle une Europe sans guerre, ce qui n’est pas si anodin. Près de 80 ans sans guerre, une situation que l’on n’a pas connue depuis la chute de l’Empire romain !

Et un système éducatif et de santé sans équivalent dans l’histoire.

Aussi, a-t-il la satisfaction intime d’un devoir accompli, prêt à passer le relais à toutes ces forces nouvelles qui construiront nécessairement –  puisqu’elles ont la volonté – un monde paré de toutes les vertus.


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

22 novembre 2021

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