Chroniques vingt-et-unièmes — Un coup de semonce — 8 novembre 2021


 Un coup de semonce


—  Et toi, tu en penses quoi ?

COP26, mandat d’amener contre Nicolas Sarkozy, intronisation au Clos de Vougeot d’Emmanuel Macron et Angela Merkel dans la confrérie des chevaliers du taste-vin, retour de Sophie Pétronin au Mali, fin inattendue du dernier James Bond, nouvel album du groupe ABBA et résurgence de Diana Ross, Greta Thunberg qui se met à parler français (« bla bla bla »), les sujets ont été nombreux lors de cette soirée organisée au domicile de Xavier et Émeline en compagnie de Sébastien et de sa femme Romane.

Et immanquablement, ce sujet que l’on n’arrive jamais à étouffer à l’occasion des discussions politiques de la rentrée : le cas Zemmour. Xavier s’étonne que Sébastien, qui habituellement se passionne pour l’écume électorale, n’ait pas abordé la question. Peut-être parce que pour son ami il s’agit plus que de l’écume et il veut en avoir le cœur net. Sébastien hésite à lui répondre : 

—  Zemmour ? Beau succès de librairie…

—  C'est tout ? Tu sais bien qu’il se prépare, même s’il affirme qu’il s'interroge.

—  Ce n’est pas fait…

—  Oui, ce n’est pas fait, mais dans son dos ou avec son accord, je devine qu’on affûte des slogans comme « Zemmour, pas la guerre ». Moi, j’aurais plutôt peur de « Zemmour, un jour. Zemmour, toujours ».

—  Mais Zemmour n’est pas un dictateur !

—  Tiens, tu as donc un avis ?

Xavier sent que Sébastien est obligé de tout lâcher.

—  Je n’adhère pas foncièrement à ce qu’il dit, mais j’ai envie de voter pour lui pour donner un coup de semonce. Contre le Système, contre la doxa ambiante. Y en a mare de tous ces gens dans leur tour d’ivoire, qui ne s’aperçoivent pas de ce qui se passe en bas.

Un « coup de semonce ». Les Français se sont rendus experts en la matière. Tous les cinq ans, l'exercice consiste à infliger une bonne leçon aux dirigeants qui n’ont rien compris. On a connu ainsi le « Sarkozy bashing », le « Hollande bashing » et bien sûr maintenant le « Macron bashing ». Comme s’il était devenu insupportable qu’un président de la République puisse détenir le pouvoir plus de cinq ans. S’agirait-il d’une impatience exacerbée à voir se mettre en œuvre des réformes ou d’un rejet total des institutions, de tout ce qui, là-haut, se risque à vouloir guider une destinée collective ?

Émeline s’inquiète, elle sent que Xavier va développer son argumentaire favori : 

—  Ah non, pas de politique ! Le dîner s’est bien passé jusque-là…

Mais Xavier réplique : 

—  Eh bien, je n’en reviens pas. Toi qui t’es toujours situé à ma gauche ! Un coup de semonce… Mais c’est ce qu’on envoie depuis cinquante ans, des coups de semonce ! Pour exiger quoi ? Un monde idéal ? Il existe cette illusion que nous devrions vivre dans un univers parfait. Jamais d’erreur, des êtres bienveillants et soucieux du bien-être de tous, la solidarité comme mode de vie, la même morale partagée par chacun. De la pure science-fiction, mon cher ! Une société n’est pas une ruche parcourue d’abeilles unies dans un projet commun, mais un ensemble d’individus se demandant occasionnellement ce qu’ils font sur terre, et animés d’objectifs contradictoires. 

—  Non, je ne parle pas d’un monde idéal, mais d’un monde avec plus de concertation, d’une vraie démocratie participative.

Xavier réfléchit : 

—  La démocratie participative existe déjà en grande partie d’une certaine façon. Le pouvoir, exécutif ou législatif, et ce, depuis toujours, n’est pas cantonné dans un tour d’ivoire. Il consulte régulièrement, qu’il s’agisse de syndicats, de fédérations professionnelles ou d’associations qui œuvrent sur le terrain. Tu vas me rétorquer que ce sont des acteurs privés qui essaient d’influencer le pouvoir, mais les individus eux-mêmes ne cherchent-ils pas à défendre leurs propres intérêts ? Tu crois réellement qu’ils ont le sens de l’intérêt général ? Je pense que si c’était le cas, il n’y aurait pas cette accumulation de problèmes. Et puis, est-ce que chaque citoyen a la compétence et le discernement pour traiter de tous les sujets ? On se fait une opinion – moi le premier – de ce qu’on entend autour de soi. Ce sont des informations de seconde main, filtrées, et pas forcément de façon objective, qui peuvent laisser place à toutes les manipulations. En fait, on souhaiterait passer de la démocratie représentative à la démocratie participative, mais on est déjà un cran plus loin : on vit sous le règne de la démocratie émotive. Et il y a un défaut de connaissances, notamment de l’histoire contemporaine : quand on ne connaît pas le monde, on le découvre tous les jours ou on veut le renverser.

—  Allez, c’est fini ! intervient Émeline, pendant que Romane suit le débat avec amusement. Des cafés ?

—  Tu n’as donc pas confiance dans le peuple, reprend Sébastien, ignorant la tentative d’Émeline. Ça ne m’étonne pas… Et tu te méfies des médias. Alors, on fait quoi ?

—  Oui, j’ai une certaine méfiance des médias. L’environnement a totalement changé en dix ans avec les chaînes d’info en continu, mais aussi avec les plateformes de streaming. Ce qui se passe est redoutable, il y a comme une alliance objective entre les deux. D’un côté, on nous sort sans fin des nouvelles calamités, énormes, voire insurmontables ; de l’autre, les séries nous offrent des mondes d’évasion pour nous faire oublier nos malheurs. D’un côté, on nous terrifie ; de l’autre, on nous anesthésie. J’ai bien peur qu’un jour, nous ne soyons plus que des zombies.

—  Hou là, ça va loin…

—  C’est la manière de traiter les problèmes qui me gêne.  Les questions sont généralement mal formulées, ou plutôt elles sont formulées ponctuellement à l’occasion d’un événement particulier, et sous un spectre très restreint. Je m’explique : prenons les sujets des réfugiés, afghans notamment, et du pass sanitaire. Pour le premier, il ne s’agit pas d’être pour ou contre les exilés afghans qui cherchent à trouver un  asile à la suite de la victoire des talibans, comme ce fut le cas aussi pour les Syriens avec la guerre civile, mais de poser la question suivante :  la France doit-elle devenir ou non un sanctuaire pour tous les êtres humains en souffrance ? Et si oui, quels moyens se donne-t-on pour y parvenir, et comment les finance-t-on ? Étant entendu que le dégagement de moyens pour accueillir les personnes venues de l’étranger, dont le nombre est appelé à s’accroître considérablement, compte tenu des conditions géopolitiques et de l’augmentation persistante de la population des pays du Sud, devra nécessairement entraîner un recul de notre propre train de vie. Toutes les réponses sont légitimes et respectables, mais il faut que le problème soit bien énoncé.

 » De même pour le pass sanitaire. Demander si on est pour ou contre est réducteur. Là aussi, la vraie question est : quel modèle de société souhaite-t-on ? Une société qui assure la protection absolue de ses citoyens, avec des contraintes inévitables, ou bien une société de citoyens libres de tous leurs actes, mais également responsables de leurs conséquences –  acceptera-t-on de mourir si on n’est pas vacciné ?

—  Donc, on ne change rien ? ironise Sébastien.

—  De toute façon, le vote ne changera pas vraiment la face des choses. Tout candidat, avec les meilleures intentions du monde, n’aura pas beaucoup de latitude. Trop de contre-pouvoirs entravent l’action. Si tu ajoutes le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l’homme, la réglementation intérieure, les divers traités internationaux signés ici et là… la route est étroite. Les postulants à la magistrature suprême sont censés le savoir, et pourtant…. J’ai deux exemples récents. Xavier Bertrand veut renvoyer les migrants chez eux et démanteler les camps qui restent à Calais. Dans le même temps, le responsable d’une association caritative affirme que la France ne respecte pas ses obligations, qu’elle doit les héberger dans des conditions décentes. Alors, que conclure ? 

» Et il y a aussi le cas d’Arnaud Montebourg qui critique le fait que les services de la Défense n’achètent pas à des sociétés françaises des produits fabriqués en France, alors qu’il sait très bien – il a quand même été ministre de l’Économie – que tous les marchés publics doivent faire l’objet d’un appel d’offres. Il y a d’ailleurs en ce moment le procès des sondages de l’Élysée pour nous le rappeler !

—  Bon, je vois bien que tu n’es pas d’accord, mais on peut avoir des opinions différentes…

—  Exactement, et ça n'empêche pas d'apporter la contradiction. Si par exemple, tu me dis que deux et deux font cinq, je te répondrai : « Viens, ça mérite qu’on en discute ».

—  Terminé ! s’interpose Émeline, cette fois-ci pour conclure. Vous avez dépassé votre temps de causerie ! Je préfère vraiment quand vous jouez aux échecs !

Xavier, coupé dans son élan, proteste : 

—  Mais c’est toujours lui qui gagne…

—  Alors une belotte ? propose Romane.

—  Émeline renchérit : 

—  Oui, une belotte, et pas de parlante ! Vous deux, je ne veux plus vous entendre !


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

8 novembre 2021

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