Chroniques vingt-et-unièmes — Transformer les promesses — 1er novembre 2021


 Transformer les promesses


Yannick Jadot ou Anne Hidalgo. Pour Ludivine, ce sera l’un des deux candidats. Aucun, cependant, n’est en position favorable. La campagne du postulant écologiste ne trouve pas son souffle, et quant à la maire de Paris, celle-ci, malgré ses propositions chocs de doubler le salaire des enseignants et de supprimer les agences régionales de santé, et même si elle se déclare sûre de gagner, demeure collée à 5 %, essayant de faire sienne la devise de sa ville, Fluctuat nec mergitur (« Il est battu par les flots, mais ne sombre pas »).

Elle cultive néanmoins un faible pour Jadot qui vient d’annoncer qu’il interdira la chasse les week-ends, les jours fériés et durant les vacances scolaires. « Pour ne plus risquer de prendre un coup de fusil en cueillant des champignons ».  Bien fait pour ses cousins chasseurs qui arpentent le Loiret en automne ! Ils n’auront qu’à déposer des RTT s'ils veulent tirer le gibier en semaine ! Les sangliers, les chevreuils, les cerfs vont pavoiser.

« Ah bon ? a réagi Xavier. 85 % des forêts en France sont privées, et en principe, les promeneurs n’y entrent pas. Et quant au 15 % restants, appartenant à l’État, les restrictions réclamées par Jadot y ont déjà souvent cours. Sait-il au moins de quoi il s'agit ? »

Ludivine refuse de chicaner sur ce point, son père passe son temps à dénigrer. L’écologie, n’est-ce pas le sujet le plus important ? Dommage que les déplacements soient si contraignants en ce moment entre la France et le Royaume-Uni. La jeune fille  serait  bien  allée  soutenir  Greta  Thunberg  à  Londres  qui  a manifesté  contre  « le rôle des banques dans la crise climatique » pour leur demander de « cesser de financer notre destruction ».

Le problème du réchauffement de la planète, celui dont on entend parler du matin au soir, a ébranlé ses convictions vis-à-vis de la classe politique. Elle avait l'intention de ne pas se rendre aux urnes mais l’idée d’un ISF climatique, initialement proposée par Éric Piolle et reprise en chœur par ses deux favoris, l’a séduite. C’est bien normal de faire contribuer les riches, ce n’est que justice, et on est vraiment en manque de justice dans ce pays, elle n’arrête pas d’y penser.

Cet impôt, qui servirait à payer la transition écologique, s’appuie sur des études sûres. L’une d’elles a montré que les riches sont les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, indirectement bien sûr, par les produits qu’ils achètent. Et elle ne comprend pas pourquoi Xavier s’est esclaffé quand elle lui a tendu l’article.

 « Une lapalissade, s’est-il moqué, sauf à démontrer que les riches ne dépensent pas plus que les pauvres. On croirait entendre le professeur Sérébriakov d’Oncle Vania de Tchekhov, qui “ouvre des portes ouvertes”. Un rapport du même genre pourrait prouver que ce sont les riches qui possèdent le plus d’argent, et que les pauvres sont ceux qui en détiennent le moins. Ou que les malades sont les plus forts consommateurs de médicaments. Mais cela ne fait en rien avancer la lutte contre le réchauffement climatique, à moins qu’il ne s’agisse que de désigner des boucs émissaires ».

Et il a renchéri : « En période de prospérité, on se congratule, on s’embrasse, on accepte l’autre et on célèbre les différences. Et quand les choses vont mal, ce qui est le plus souvent le cas, on se replie et on s’invective. Alors, il existe deux solutions pour sortir de cette dernière situation : soit essayer de faire que les choses aillent mieux en recréant de la richesse ; soit trouver des boucs émissaires. La campagne présidentielle va se jouer entre ces deux pôles. »

Elle se demande pourquoi il ne comprend rien à rien, pourquoi il ressasse toujours ces phrases du passé, pourquoi il tord ainsi le présent en employant la dérision. Avec sa marotte : pour lui, réchauffement climatique et phénomène migratoire ne sont que les conséquences de la hausse incontrôlée de la population mondiale (sujet dont il est peu question), on ne s’attaque donc pas au vrai problème. Celle-ci avoisinait 1 milliard en 1800, 1,6 milliard en 1900, 6 milliards en 2000, et s’approche maintenant de 8 milliards. Un rythme insupportable, car forcément, on consomme plus à 8 milliards qu’à 1 milliard. Certes, les experts estiment que cette population pourrait se stabiliser à 11 milliards, mais ce n’est pas plus rassurant. L’augmentation du niveau de vie étant une aspiration légitime pour tout habitant de la terre, l'exploitation des ressources non renouvelables et les rejets de CO2 poursuivront leurs courses folles. Qui pourrait en effet bloquer cette aspiration à imiter le modèle occidental ?

Ne soyons pas défaitistes. Elle est persuadée qu’on doit trouver son chemin en marchant, que chacun doit assurer sa part, et elle espère que les petites mesures proposées ici et là – utiliser davantage son vélo, manger moins de viande, limiter les déplacements en avion sur les lignes intérieures… – feront pencher, à la longue, la balance du bon côté.

« Mais les centrales à charbon chinoises tournent à plein régime », rétorque son père. Il faut bien pourvoir à la soif de consommation qui s’est emparée du monde depuis quelque temps, et répondre, entre autres, à la demande des jouets pour Noël. Tiens d’ailleurs, pourquoi viens-tu de changer ton iPhone pour prendre le 13 ? Ça ne pouvait pas attendre un an de plus ? »

D’accord, elle a acheté en quatre fois sans frais l’iPhone 13 Pro Max  car on lui a affirmé que sa puce est ultra-puissante et qu’il réalise des photos fantastiques. Mais cela n’a rien à voir avec l’écologie, comme veut le laisser entendre Xavier.

Bon, passons à autre chose, encore que... La COP26 (COP signifie simplement « Conference of the Parties » et Xavier s’interroge toujours sur ce qu’on peut-on attendre avec un tel signe composé de mots vides…) se tient pour deux semaines à Glasgow, un rendez-vous dit « crucial pour la planète », après tous ceux que l’on a déjà connus. La « der des der » avant la catastrophe annoncée. Donc, forcément, on en espère beaucoup, car il est temps de réagir. Il y a eu en effet peu d’avancées depuis le fameux accord de Paris de la COP21. C’est vrai qu’à l’époque, en 2015, l'ordonnateur en chef Laurent Fabius tenait absolument à l'unanimité des 192 participants. Très valorisant pour l’image. On se souvient de sa phrase :   « C’est un petit marteau mais je pense qu’il peut faire de grandes choses. » Il a fallu négocier pendant des jours en coulisses pour y parvenir. Alors, oui, l’accord a été total, le principe étant que chaque pays définisse sa propre « trajectoire » pour limiter le réchauffement global à 1,5 °C, mais sans mesures contraignantes, avec – difficile d’y résister – la possibilité d’en sortir à tout moment avec un préavis très court, ce que d’ailleurs s’est empressé de faire Donald Trump dès qu’il est arrivé au pouvoir. Joe Biden est certes revenu sur cette décision mais toute cette construction reste fragile, très fragile, tributaire des politiques erratiques que peuvent amener les changements de majorité des systèmes démocratiques. Et quant aux régimes autoritaires… Ne parlons pas du président Xi Jinping qui ne se rendra même pas à Glasgow. Ni de Vladimir Poutine, ni de Recep Erdogan. Ils n’enverront que des émissaires. Ils craignent peut-être des questions gênantes à propos de leurs pays figurant parmi les plus pollueurs. C’est ainsi que la Chine, qui constate qu’elle ne pourra pas tenir ses engagements pour 2030, se donne, selon un schéma très classique, des objectifs encore plus ambitieux pour 2060. Tout en demandant aux États occidentaux « d’assumer leurs responsabilités historiques et continuer à prendre résolument la tête en matière de réduction d’émissions ». Une manière de rappeler que « vous, les Occidentaux, vous avez suffisamment pollué jusqu’à présent, alors montrez l’exemple au lieu de nous infliger des leçons ». Il est toutefois difficile d’en vouloir à la Chine, « l’usine du globe », qui retrouve un rang qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Ne représentait-elle pas avec l’Inde, entre 1500 et 1800,  50 % du PIB total de l'époque ?

En tout état de cause, la Gambie, ce tout petit État d’Afrique, menacé il faut le dire par la montée des eaux, est la seule, sur les 192 signataires, à respecter sa trajectoire.

Oui, ça urge. Comme 45 % des jeunes de la planète, Ludivine pense souffrir d’« éco-anxiété », 75 % estimant même le futur « effrayant ». Selon le Giec, « notre monde s’est engagé sur la voie d’un réchauffement de 2,7 °C, voire de 3 °C et les conséquences seront catastrophiques ». On constate déjà que la température en moyenne a augmenté de 1 °C depuis la fin du XIXe siècle. Il suffit pour s’en rendre compte d’observer ce qui s’est passé cette année : le dôme de chaleur du Canada, des pointes à 50 °C en Sibérie, les cyclones un peu partout, la grande sécheresse à Madagascar, les invasions géantes de criquets en Afrique… Il s’agit donc de transformer des promesses en actes concrets.

Ça devient compliqué, soupire-t-elle. Et que me dit mon iPhone ?


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

1er novembre 2021

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