Chroniques vingt-et-unièmes — Faisons confiance au temps — 15 novembre 2021


 Faisons confiance au temps


Le retour sur terre de Thomas Pesquet et des trois autres astronautes. Comme beaucoup, et presque par habitude, le professeur Marcus s’y est intéressé.  Il  a  pu  apercevoir  celui  que  l’on  qualifie  de  « gendre idéal » lever un pouce victorieux, sanglé dans son fauteuil roulant (peut-être n’avait-il plus la force de lever un bras), mais quel bruit médiatique ! Les allers et retours Terre-Lune d’il y a cinquante ans, devenus presque de la routine malgré les faibles moyens technologiques de l’époque, ne provoquaient pas plus d’engouement que ce trajet de 400 kilomètres depuis la station spatiale internationale.  Il est vrai que la presse a besoin de grain à moudre, qu’elle se doit de magnifier le moindre exploit.

Alors, pourquoi ne pas s’étendre sur d’autres aventures bien plus ambitieuses ?

Marcus a en tête l’horloge atomique Pharao développée par le CNES, dite « à atomes froids », qui va être lancée dans l’espace pour y rejoindre l'ISS. Pour les esprits avertis, elle « mesure le temps à partir des transitions subies par les atomes lorsqu’ils interagissent en résonance avec une vibration micro-onde ». On estime qu’elle disposera ainsi d'une précision un million de fois supérieure à l’UTC – le temps universel coordonné – issu de la moyenne de centaines d’horloges atomiques au césium réparties sur la planète. Une justesse à la seizième décimale ! Mais elle jouera aussi un rôle central pour vérifier l’une des théories majeures de la relativité générale d’Einstein, propre au temps. 

Le temps ! Marcus a toujours eu un rapport trouble avec cette notion, à douter de sa réalité. Peut-être a-t-il trop cherché à endosser les habits et à rentrer dans le cerveau du célèbre physicien. Selon celui-ci, le temps ne fluctue-t-il pas en fonction de la vitesse et de la masse ? On a déjà prouvé la première partie, en montrant qu’il ralentit avec l’augmentation de la vitesse. Là, avec Pharao, il s’agit de confirmer qu’il accélère en présence d’une masse et qu’il freine en s’en éloignant. L’exercice consistera à comparer deux horloges atomiques, la première demeurée sur terre, et la seconde voyageant dans la station internationale. Il faut cependant être patient, et Marcus l’est, car le lancement, initialement prévu en 2013 et maintes fois retardé pour des raisons techniques que l’on comprend bien, sera peut-être opéré cette année – il reste quelques semaines pour cela, c’est une question de temps, encore.

Ces expérimentations sont dérangeantes. C’est toute la difficulté de s’extraire d’un référentiel dont on constate les manifestations tous les jours, et de se projeter vers un autre qui n’existe que sur papier, sous la forme d’équations jaillies du cerveau d’un être probablement parmi les plus brillants de tous les temps, et intelligibles seulement que pour de rares initiés, dont Marcus essaie de faire partie. Ce génie dont on s’attache à valider les écrits était peut-être en connexion avec une dimension qui nous échappe, et c’est ce qui motive les scientifiques cherchant à prouver en laboratoire ou en environnement naturel les hypothèses qu’il a posées. C’est ainsi que des ondes gravitationnelles – phénomène pressenti par sa théorie – ont pu être observées récemment. Comme plus anciennement la courbure des rayons lumineux ou le fait que l’accélération d’un objet ne dépend pas de sa densité.

« Mais à quoi ça sert ? », demande souvent son fils Thomas à Marcus. « À nous faire sortir de notre humble condition d’humain. À nous faire vivre au-dessus de nous-mêmes… », répondrait bien Marcus. Mais les paroles ne quittent jamais l’horizon de sa pensée, il n’a qu’un geste vague pour expliquer l’inanité d’une telle ambition.

Il ne désespère pas aussi de voir lancer cette année le télescope spatial James-Webb (le 18 décembre si un nouveau report n’est pas annoncé) qui aussitôt opérationnel s’attellera à la recherche d'indices de vie extraterrestres.

Des projets bien moins médiatiques que les aventures de Thomas Pesquet, mais qui bousculeront de façon vertigineuse nos connaissances scientifiques.

Faisons confiance au temps.


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

15 novembre 2021

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