Chroniques vingt-et-unièmes — Qui l'emportera ? — 18 octobre 2021


 Qui l'emportera ?


Après-midi d’automne, les feuilles s’accumulent sur la pelouse rongée par la mousse, Jean-Bernard les ramasse consciencieusement, ce devrait être un moment de calme intérieur, mais l’absurdité de la société le rattrape. Deux événements, selon lui, le prouvent.

La Fille au Ballon, d’abord, la toile de Banksy, « autodétruite »  partiellement  lors  d’enchères  en  2018  après  avoir  été  adjugée  1,2 million  d’euros,  a  de  nouveau  été  mise  en  vente.  Proposée  à  4,6 millions d’euros, elle est partie à 21,8 millions (il faut bien que l’argent déversé continûment par les banques centrales se place quelque part). Le fait qu’elle ait été détruite, en direct de surcroît, la rendait, le buzz aidant, effectivement plus chère. Mais à ce point ! En accomplissant cet acte en public, Banksy, dont on ne sait toujours pas, à l’instar d’Elena Ferrante, s’il est un homme, une femme ou un collectif, voulait dénoncer la « marchandisation du métier de l’art ». C’est pour le moins raté. Mais Banksy ne s’est pas arrêté là. Il a composé une reproduction du fameux tableau sous forme de diptyque avec d’un côté la fille et de l’autre le ballon, diptyque qui lui s’est vendu à 3,7 millions d’euros. Ce n’est pas si mal et c’est aussi efficace que la planche à billets. De quoi donner des ailes à tous les graffeurs (Banksy a commencé comme ça) qui marquent leur territoire dans des endroits de plus en plus inaccessibles en espérant acquérir la même célébrité.

Et Squid Game. Véritable phénomène planétaire comme l’époque sait en fabriquer. Vanessa est rentrée en larmes du collège, battue, insultée et humiliée par ses camarades de classe parce qu’elle a échoué à l’exercice de la marelle. On reproduit dans les cours d’école la logique qui fait le succès de la série, cette compétition, au moyen de jeux d’enfants, d’adultes qui n’ont plus rien à perdre, éliminés un à un dans des conditions atroces jusqu’au combat final qui ne laissera qu’un vainqueur.

C’est dérangeant. Quel atavisme pousse les jeunes à s’inspirer entre eux du mauvais versant de la société ? Comme s’il fallait s’émanciper d’un modèle bienveillant et trop protecteur. La culpabilité ronge Jean-Bernard. Pourquoi sa fille Vanessa a-t-elle accepté de se plier à ce jeu ? Elle n’y est pas venue par hasard, elle en connaissait certainement les règles, et il s’interroge pour savoir à quel moment il a failli dans son éducation. Une question à laquelle doivent s’affronter bien des parents, une consolation bien mince. Le mal est sans doute entré dans la maison avec Tik Tok dont elle dévore les vidéos pendant des heures.

Sans parler de cette femme décapitée chez elle. Le principal suspect, lui, ne se souvient de rien ! Et ce député britannique poignardé par un islamiste que l’on avait auparavant, car il était déjà repéré pour son comportement, « invité à se déradicaliser » !

Il préfère refermer cette parenthèse douloureuse et faire le point mensuel des derniers développements politiques, comme le capitaine d’un vaisseau fantôme.

À six mois de la présidentielle, les stratégies s’affinent, des idées émergent, on sent un frémissement, qui n’est pas encore un bouillonnement.

Aux extrémités de l’échiquier, on laisse le parti, temporairement, au fidèle des fidèles, pour mieux s’agiter dans le grand bain, Marine Le Pen à Jordan Bardella pour le RN, Jean-Luc Mélenchon à Mathilde Panot pour LFI.

Anne Hidalgo a décroché l’investiture désirée, avec 72 % des 30 000 militants, à ne pas confondre avec les 4 % d’intentions de vote qui la ramènent durement à la réalité. Après le pétard mouillé du doublement des salaires des enseignants, après avoir cherché à apparaître plus verte que les Verts, elle remet le cap vers le socialisme, se disant sociale-démocrate avant tout (on n’en attendait pas moins). Et autour d’elle, on certifie que la machine de guerre va se déployer et tout balayer sur son passage ; qu’étant désormais officiellement désignée, le tapis rouge va se dérouler.

Que penser alors des 16 % d’Éric Zemmour qui n’est toujours pas candidat, qui profite ainsi de cette zone grise où son temps de parole n’est pas décompté, et  dont  on  ne  sait  même  pas  où  se  situe  la  machine  de  guerre ?  Avant  de  se  lancer,  il  doit  d’abord  avoir  la  confirmation  d’obtenir  les  500 signatures (cela peut toutefois se trouver parmi 36 000 maires) et surtout se procurer des subsides pour financer équipe de campagne, meetings et déplacements. Ce n’est sûrement pas la rente assurée par ses livres qui le lui permettra. Et avec qui derrière ? Comment, ensuite, constituer une cohorte ministérielle ? Recruter des futurs députés ? Un nom peut-être : Éric Naulleau comme Premier ministre ?

Xavier Bertrand qui a construit sa notoriété en refusant de se plier à la discipline d’une primaire ou d’un départage accepte maintenant, devenu le « favori de la droite », la sanction des militants. Il a repris sa carte dans ce sens. Car, comme Zemmour, il doit aussi dégager de l’argent, et quoi de mieux que de s’appuyer sur un parti ? « Gaulliste social » (il faut toujours ratisser large), il a esquissé quelques idées, se prononçant pour un revenu net de 1 500 euros versés à chaque salarié ou indépendant, le différentiel avec le revenu actuel étant payé par l’État. Un excellent moyen pour relancer la consommation, mais surtout les importations venant de Chine, la France ne possédant plus les capacités de production suffisantes. Et son souhait d’abroger la loi du « mariage pour tous » ne joue peut-être pas en sa faveur.

Yannick Jadot est à la peine, il pensait sans doute que la publicité faite autour de la primaire allait lui fournir l’élan nécessaire, mais il porte le handicap d’être le plus modéré des postulants écologiques, les autres, officiellement ralliés, le soutenant du bout des lèvres. En contrepartie, il n’est pas certain que l’appui d’une personnalité de poids, François Lamy, jusque-là inconditionnel de Martine Aubry, change la donne.

Nicolas Dupont-Aignan qui voit avec effarement son électorat aspiré par Zemmour, tente le tout pour le tout, n’ayant même plus la consolation de devenir Premier ministre (encore ce même Zemmour…) si Marine Le Pen l’emporte. Il annonce sa décision de renégocier tous les traités européens afin de « rétablir l’ordre, relocaliser les productions et reconstruire nos services publics ». Il est vrai que la vocation d’un traité est d’être dénoncé ou de ne pas être respecté, l’histoire le montre suffisamment, mais pour négocier, il faut au moins être deux ou sortir du jeu, il le découvrira peut-être à ses dépens.

Et pendant ce temps, le Président, toujours non-candidat officiellement à sa propre succession, laisse planer un faux suspense, endosse avec désinvolture le maillot de footballeur pour soutenir l’œuvre des pièces jaunes à l’occasion de la 32e campagne lancée par son épouse. Pense-t-il à la fable du lièvre et de la tortue ? Pour l’instant, les milliards pleuvent. On sait qu’en France, même en remplissant sans fin le tonneau des Danaïdes, la moindre étincelle peut faire exploser le baril de poudre des revendications. Un tonneau et un baril côte à côte. Qui l’emportera ?


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

18 octobre 2021

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