Chroniques vingt-et-unièmes — Le consensus — 13 septembre 2021


 Le consensus


La rentrée politique s’accélère malgré l’été qui paresse. 

Jean-Bernard est toujours rigoureux dans ce qu’il entreprend. La raison en est peut-être l’éducation rigide qu’il a reçue dans un internat ainsi que son parcours militaire. Avant de conforter ou de détruire l'idée naissante qu’il a de son possible champion pour l’élection présidentielle, il tient à examiner et à évaluer les professions de foi de tous les candidats. Pour en parler à Élise et, pourquoi pas, à Quentin qu’il parviendra peut-être à détourner de sa conviction de ne pas voter (sous influence, sans doute, de cette chipie de Ludivine). 

Il a pour cela ouvert un registre afin d’y noter les déclarations et les « petites phrases ». Mais le spectre est large et il convient de procéder par ordre.

En tête figurent les deux favoris que tous les sondages, pour l’instant, donnent présents au second tour si celui-ci avait lieu demain : Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

Le président en exercice n’a pas encore fait part de ses intentions, bien que celles-ci ne fassent aucun doute. Il paraît difficile qu’il prenne une retraite politique à un âge si peu avancé. C’est probablement en début d’année 2022 qu’il se lancera officiellement dans l’arène, attendant le dernier moment comme ses prédécesseurs Mitterrand, Chirac et Sarkozy (rien ne sert de courir…), ce qui laisse beaucoup de temps à ses concurrents pour se faire entendre.

La première de ceux-ci, Marine Le Pen, donc, s’est déjà mise en retrait du RN, le confiant à son chouchou Jordan Bardella. Outre les thèmes classiques de l’insécurité et de l’immigration, elle semble, elle aussi, choisir le « en même temps » en proposant conjointement la  nationalisation  des  autoroutes  et  la  privatisation de  « l’audiovisuel public ».  Nationaliser  tout  en  privatisant. Pense-t-elle avoir trouvé la martingale gagnante ?

Derrière, les autres adversaires se pressent. Songeur, Jean-Bernard divise son registre en deux blocs, gauche et droite, en y inscrivant les postulants, des plus extrêmes aux plus modérés.

Le premier bloc, d’abord, la gauche. Il y note en filigrane les noms de Nathalie Arthaud et de Philippe Poutou, candidats supposés et récurrents de Lutte ouvrière et du Parti anticapitaliste, restés encore très discrets pour l'instant, mais dont les voix fulminantes ne vont pas tarder à se faire entendre. Que ce soit eux ou pas, il y aura, selon la tradition, deux prétendants, car la stratégie de ces partis farouches et confidentiels est de ratisser plus large en doublant le temps médiatique qui leur est dédié. Jean-Bernard, dont les convictions ne penchent pas vraiment pour cet univers-là, soupire en pensant à un sketch de Devos. Deux fois presque rien, est-ce mieux que presque rien ?

Vient  ensuite  Jean-Luc  Mélenchon.  Face  à  un  présent  qui  divise,  il  souhaite  un « avenir en commun » pour  les  Français,  désireux  de  les  mobiliser  pour  le « progrès social et humain », et   « l’harmonie entre tous les êtres et avec la nature ». La seule solution : une « loi d’urgence sociale ». Car selon son interprétation, l’abstention massive aux dernières élections serait due au fait que le peuple ne se déplace pas aux urnes ; en conséquence, il a pour ambition de s’y placer au-devant. Mais alors, qui vote actuellement ? Des fantômes ?

Le parti communiste présente aussi son candidat, Fabien Roussel, pour la première fois depuis 2007, s’émancipant ainsi des Insoumis. La fête de l’Huma est un bon pas de tir. Le but est de « renouer avec les classes populaires » en enfourchant les thèmes de la sécurité et des « services publics dans les villages ». Mais pour les communistes, le train est passé depuis des lustres. Ils sont condamnés à stationner longtemps sur le quai.

Jean-Bernard ouvre à présent une grosse rubrique pour les écologistes dont la cote est démultipliée par l’effroi que suscite le réchauffement climatique, cette formule qui est sur toutes les lèvres médiatiques. Ils organisent actuellement une primaire où les « sympathisants » auront l’occasion de s’exprimer. S’y affrontent Yannick Jadot, Éric Piolle, Delphine Batho, Sandrine Rousseau et Jean-Marc Governatori. Mais phénomène surprenant, 44 % de ces sympathisants n’ont jamais entendu parler des cinq candidats en lice. Dans quelle dimension vivent-ils ?

Parmi les 56 % restants, le plus connu d’entre eux est Yannick Jadot dont le  programme  se  résume  à  trois  grands  objectifs : climat, climat et climat.  Et  accessoirement  le  climat.  Pour  cela,  on  doit « dépasser le capitalisme qui détruit la planète ». Croit-il, une fois élu, disposer des manettes du monde ? 

Plus imaginatif,  le  maire  de  Grenoble  Éric  Piolle  veut  instituer un « ISF climatique » et  imposer « drastiquement »  les  revenus des riches,  ceux  qui,  forcément,  polluent  le  plus.  Sa   méthode ? « Transformer les problèmes en emplois. » Il faut vraiment saluer cette initiative et souhaiter que les problèmes s’accumulent. 

Delphine Batho, elle, ne pense qu’à la décroissance, évacuant la question de l’insécurité qui selon elle viendrait du « modèle social qui broie ». Elle appelle aussi à une « écologie laïque ». Voile ou soutane recyclable, on aimerait en savoir davantage… 

Sandrine Rousseau, partisane d’une « radicalité écologique » (jusqu’à s’empêcher de respirer pour ne plus émettre de CO2 ?), postule avant tout pour lutter contre les humiliations de toutes sortes qui assaillent les Français (on s’éloigne peut-être un peu là du sujet), notamment les violences sexistes et le racisme. 

Enfin, Jean-Marc Governatori se positionne comme un « écologiste du centre », défendant un environnement sain, sans oublier la santé et le travail pour tous. Qui serait contre ?

En continuant sur la gauche, il a bien sûr les socialistes et apparentés. Jusque là, trois candidats : Anne Hidalgo, Stéphane Le Foll et Arnaud Montebourg. 

La  première,  qui  n’a  pas  encore  avancé  de  programme,  en  dehors de « s’attaquer aux inégalités » et « d’offrir un avenir à nos enfants » (chacun se sent déjà  rassuré), soutient la résistance afghane. Souhaite-t-elle envoyer sur place la future police municipale de la ville ? Elle pense aussi « possible de multiplier par deux au moins le salaire des enseignants ».  Attention aux faux espoirs que l’on peut susciter… 

Contre elle, Stéphane Le Foll, qui a milité pour une primaire finalement acceptée par le premier secrétaire du parti socialiste, dont on se demande s’il ne se présente pas uniquement pour lui barrer la route. Sa priorité est le « pouvoir vivre » en combinant écologie et économie. Et un objectif fort : la résurgence du septennat, mais un septennat non renouvelable. Le ressac de l’histoire…

Arnaud Montebourg,  malgré  ses  précédentes  déclarations  d’abandon  de  la  vie publique,  retourne  au  charbon,  ne  se  voyant  pas « aller aux champignons », obligé qu’il se sent de porter secours à un « pays qui se noie ». Il choisit un autre angle, celui de la remontada de la France (cette manie des politiques depuis 200 ans de vouloir redresser la France…) et, incidemment de la sienne, car passer de 2 % des intentions de vote actuelles à 20 % au premier tour serait effectivement un exploit.

Jean-Bernard tire un grand trait. Le bloc de droite maintenant.

Dans son expression la plus marquée, on se bouscule un peu, entre Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot, Éric Zemmour et François Asselineau.

Nicolas Dupont-Aignan annonce un catalogue très large de mesures, qu’il s’agisse de la possibilité des parlements nationaux de « s’opposer au parlement européen », de la « suspension de la directive sur les travailleurs détachés », du « rétablissement de la souveraineté monétaire » (retour au franc ?), de la « suppression des fonctionnaires européens », et même d’une action internationale pour obtenir l'interdiction du trading à haute fréquence. Un petit inventaire à la Prévert qui nous rajeunit, nous ramenant aux années 50…

Le grand projet de Florian Philippot est la sortie de l’Union européenne, un « Frexit », englobant de fait les propositions de Nicolas Dupont-Aignan. Il pense se reconstruire une santé, après son départ du Front national, en bataillant sans relâche aux côtés des antipass et antivax. Surfer sur les mécontentements et les peurs n’a jamais ouvert un horizon.

Éric Zemmour,  pour  sa  part,  est  encore  sur  la  réserve,  le  nez  sur  la dynamique  des  sondages  qui  marchent  bien  pour  lui. Il  voudrait  qu’on  lui  donne « l’envie d’avoir envie » et « attend d’y voir clair ». En tout cas, l’affaire est déjà limpide pour le CSA qui a demandé de décompter son temps de parole dans les médias.

Le programme de François Asselineau rejoint presque celui de Nicolas Dupont-Aignan, avec une variante : le franc nouvellement rétabli serait aussitôt dévalué de 10 %. Comme au bon vieux temps ! Nostalgie, nostalgie… Et avec une mesure choc : l’organisation d’un référendum sur la dette française. Une question à laquelle chacun répondrait en son âme et conscience : « Êtes-vous d’accord ou non pour rembourser l’argent que l’on vous a prêté ? »

Et pour clore ce bloc, les Républicains, naturellement, riches de cinq postulants pour une primaire ou un « départage » (la formule est toujours en débat) regroupant la droite et le centre. Mais, paradoxe, le Modem qui est le principal parti du centre en serait exclu. S’y distinguent Valérie Pécresse, Michel Barnier, Éric Ciotti, Philippe Juvin et Denis Payre. Sans oublier le transfuge, Xavier Bertrand, qui a annoncé qu’il ira coûte que coûte jusqu’au bout.

Pour ce dernier, qui bénéficie actuellement de la faveur des sondages, on attend vivement le programme. Il n’a pour l’instant lancé que quelques pistes : réinstaurer l’ordre et « sauver la France du naufrage ». Est-il si bon marin et sait-il au moins nager dans le grand bain ? 

Valérie Pécresse, dont le flou du projet (« Débureaucratiser ») rivalise avec celui du précédent, son  concurrent le plus dangereux, a trouvé la condition incontournable pour que la droite gagne (« Moi, je vais vous le dire : un seul candidat. ») Il fallait y penser… « Et si je me lance, c’est pour gagner ». Il est heureux qu’elle ne se soit pas lancée pour perdre.

Michel Barnier, le négociateur du Brexit, se voit maintenant en « capitaine » (toujours ces références marines), aspirant à être le « président d’une France réconciliée ». Il met la barre vraiment très haut. 

Éric Ciotti raisonne immigration, réfugiés et fermeture des frontières. Un peu réducteur. N’est-ce pas finalement la même chose ? 

Philippe Juvin,  peu  connu,  chef  des  urgences à  l’hôpital  Pompidou,  présente  deux  axes  d’attaque : « l’égalité des territoires » et surtout « une baisse massive des impôts ». Avec une dette de 120 % du PIB, cela n’engage à rien. 

Pour finir, Denis Payre, chef d’entreprise, le candidat que l’on n’attendait pas, joue « l’économie plutôt que le sécuritaire », avec à la clé « une vaste réforme de l’État » et la restauration de « l’unité du pays ». Quelle imagination ! 

Jean-Bernard repose son registre où il s’est laissé aller à griffonner ses petits commentaires. La critique est facile, il se sent un peu coupable. Heureusement que certains, inconscients, audacieux ou solides convaincus, acceptent de se jeter dans la bataille, au prix de leur confort et de leur vie de famille, pour essayer de gouverner une France ingouvernable, où les électeurs qui n’ont pas voté au premier tour pour le président finalement choisi n’ont qu’une idée en tête : contester et s’opposer de toutes leurs forces à l’ensemble des mesures qu’il prendra, qu’elles aient figuré dans son programme ou non. Étrange cette distance que cultivent les Français avec la démocratie, dont ils ne cessent cependant de faire l’éloge dans le monde.

Il sourit en songeant à cette fameuse phrase du général de Gaulle : « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages ? »  Aujourd’hui,  ces  fromages  sont  entre  1 200 et 1 500 selon les définitions !

Mais chose surprenante, dans cette France éclatée, il se dégage un consensus rare, celui sur Belmondo, ce quasi-monument national. Peut-être que l’image de cet acteur rigolard, rebelle, insolent, provocateur et franchouillard rassemble plus qu’on ne le croit et que se trouve là, sous nos yeux, la formule magique. Lui est aussi associé le souvenir d’une France heureuse, mythique, celle des années 70 et 80, des années de guerre froide pourtant, et de crises pétrolières à répétition, où un chômage de 300 000 personnes était inconcevable. La mémoire est courte…

Bébel a eu droit à un hommage unanime. Peut-être entrera-t-il même un jour au Panthéon.

Dommage qu’il n’ait jamais été candidat.



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

13 septembre 2021

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