Chroniques vingt-et-unièmes — Subir — 30 août 2021


 Subir


Comme tous les ans à la mi-août, le professeur Marcus est allé passer quelques jours à la Cité de l’espace à Toulouse, à l’invitation renouvelée d’anciens condisciples. C’est la période propice pour traquer les perséides, ces débris plus ou moins importants échappés de la comète Swift-Tuttle qui en rencontrant l’atmosphère de la Terre provoque ces « pluies » d’étoiles filantes.

Mais il ne s’est pas contenté d’observer les météores. Sur place, on a beaucoup discuté dans la petite communauté spatiale des projets à venir. Et celui qui retient l’attention de tous est le lancement depuis Kourou du télescope orbital James-Webb, fruit d’une collaboration internationale, dans le courant du mois de novembre prochain si tout va bien.

Et au fil des anecdotes, des questions et des réponses, on a bien sûr évoqué les figures des deux astrophysiciens suisses Michel Mayor et Didier Queloz sans qui, indirectement, James-Webb n’aurait certainement jamais vu le jour.

Marcus connaît bien Michel Mayor, de la génération précédente, avec qui il a travaillé à la sortie de ses études. Ce dernier a découvert avec son collègue la première exoplanète, 51 Pegasi b, appelée aussi Bellérophon, située à 50 années-lumière de la Terre, un exploit qui leur vaudra plus tard le Prix Nobel. À cette époque, en 1995, les deux scientifiques passaient – au mieux – pour des originaux. Selon la pensée dominante qui prévalait alors dans le milieu, les étoiles, dans la majorité des cas, n'occupaient pas le centre d’un système, elles n’étaient que des astres isolés, dépourvus de satellites. Le Soleil, en quelque sorte, constituait une exception. Une hypothèse fausse, non fondée, balayée par les quelque 4 000 autres exoplanètes recensées depuis. 

Pour mener leur entreprise, les deux astrophysiciens avaient avancé une idée simple, mais audacieuse : si les objets célestes lourds exercent une influence gravitationnelle sur ceux qui sont plus légers, il en est de même dans le sens opposé, mais avec un effet beaucoup plus faible, décelable toutefois pour peu qu’on y prête attention. Et c’est en scrutant patiemment une étoile dans la constellation de Pégase qu’ils avaient pu détecter une infime oscillation de sa trajectoire mettant en évidence un corps beaucoup plus petit – une planète, la fameuse Bellérophon – tournant autour d’elle.

Une découverte essentielle en ces années-là, que l’on n’évoqua pourtant que dans des cercles très spécialisés. C’était justement l’époque où Marcus accomplissait son stage de postdoctorat à l’Observatoire de Genève sous les directives de Mayor. Il avait conçu une grande admiration pour son maître et avait conservé, les premières années du moins, des échanges continus avec lui. Cependant, avec le temps, les relations s’étaient distendues, pour ne pas dire évaporées, mais il avait eu la consolation de suivre sa notoriété montante dans la presse, directement proportionnelle à l’intérêt que commençaient enfin à présenter ces planètes extrasolaires dans la communauté scientifique.

Le télescope James-Webb va certainement révolutionner le sujet. Car là, il ne s’agit plus simplement de découvrir d’autres exoplanètes. Avec son spectre d’analyse allant de l’orange à l’infrarouge moyen, il sera capable de détecter la présence d’oxygène ou d’ozone dans l’atmosphère de planètes lointaines, des gaz qui ne peuvent être produits que par des réactions organiques, donc révéler des milieux susceptibles d’abriter la vie, un quart d’entre elles, selon les estimations, réunissant les conditions nécessaires.

Voilà en quoi ce projet est essentiel. Il ne suscite cependant que peu de commentaires des télés et des radios rivées sur le drame qui vient de bousculer un été étouffant sous la chaleur et les incendies : la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans.

Et Marcus s’interroge : où se situe la réalité objective ? Dans ce conflit sorti du Moyen Âge sur une portion de territoire d’une minuscule planète d’un système stellaire parmi les 200 milliards que compte la Voie lactée ? Ou cet univers glacé dans lequel on recherche une trace d'existence extraterrestre ? 

Il a bien son idée sur la question, mais elle sera loin d’être partagée. Il devra, comme chacun, vivre au rythme des événements, ou plutôt de leurs échos parvenus de cette contrée si distante d'un point de vue géographique, et si proche dans les médias. 

Subir l’incontournable débat de la crise migratoire, et celui, éternel, de la chute de l’empire américain.


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

30 août 2021

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