Chroniques vingt-et-unièmes — Un moment de gagné —26 juillet 2021


  Un moment de gagné


À moins de neuf mois de la prochaine élection présidentielle, Xavier ne s’est pas encore fait une religion. À l’inverse de Sébastien, qui sans doute influencé par son éducation chez les Jésuites, a déjà choisi son camp, hésitant seulement entre une social-écologie et une écologie sociale, entre socialistes et écologistes.

—  « Social-écologie » lui a fait remarquer Xavier, ça signifie simplement que ce sont les riches qui vont payer la fameuse transition écologique…

—  Bah oui, c’est normal que ce soit ceux qui ont de l’argent qui paient, d’abord parce qu’ils sont responsables de la situation actuelle…

Bon, il est un peu trop tôt pour se perdre dans des discussions enflammées, la pause dite estivale incite à la modération. Nos sociétés occidentales, lancées frénétiquement dans le débat permanent, et plus encore dans la quête fascinante d’un avenir meilleur qu’elles voudraient très proche, en arrivent à rejeter un passé qu’elles pensent coupable et à le recouvrir d’une chape de repentance, tout en oubliant un présent cruel qui bouscule les positions établies de longue date. Alors que le centre de gravité de la planète glisse vers l’Asie, où les autocraties et les dictatures prospèrent, elles s’interrogent sans fin sur la démocratie.

Xavier se souvient de cette conversation avec Sébastien avant ses vacances. Pour lui, la campagne présidentielle sera vraiment engagée quand les programmes seront sortis des cerveaux de conseillers en marketing politique, quand ils remplaceront les slogans vagues qui jusqu’à présent agitent les tribunes. Car de quoi parle-t-on aujourd’hui ? De redonner la parole aux « invisibles » dont on ne saurait se passer, de « sauver » cette même société du « naufrage », d’empêcher que le monde étouffe ou se noie sous les manifestations du réchauffement climatique. 

Sauver la société du naufrage. Le vocabulaire se veut viril et marin. Albert Dupontel  a  déjà  évoqué  le  « bateau qui coule », quand d’autres  cherchent  à  se préparer  aux  « tempêtes à venir »  pour  « trouver le bon cap ». Devant toutes ces catastrophes annoncées, quand fera-t-on allusion aux « rats qui quittent le navire » ?

Mais pourquoi tant d’idées noires alors que tout concourt à une journée sereine ?

Pour l’instant, Xavier contemple la ligne d’horizon qui délimite le ciel immaculé de la plage de La Baule. Il n’est que dix heures du matin, la chaleur n’est pas encore sensible, l’air porte cette couleur laiteuse. À côté de lui, Émeline est allongée sous la caresse d’un vent tiède, le temps d’une pause qui va permettre à son esprit de se dissocier de la structure ambiante, de rejoindre d’autres mondes où la physique, la logique ne s’écrivent plus tout à fait de la même façon.

Les vagues sont molles, de leur crête l'écume en jaillit à peine, il s’amuse à observer le doux ressac, le sable qui se teinte progressivement sous la montée tranquille de l’eau. 

Non loin, des gosses s’affolent, il faut protéger à tout prix l'architecture tremblante du château qu’ils viennent de construire, les pelles et les râteaux s’agitent pour écarter le désastre, on laboure le sol avec fébrilité, on consolide, on crée dans la précipitation de nouveaux remparts.

Xavier se remémore. Il a connu ces scènes identiques il y a dix ans, il y a trente ans, il y a quarante ans. Enfants piaillant face à cette même expérience des combats impossibles, ceux qu’on ne peut gagner et qui amènent à s’interroger sur ses capacités d’agir.

Le monde se transforme à une allure insoutenable, les vagues de changements emportent les châteaux de sable dressés hauts et fiers sur les récifs de l’incompréhension.

Mais tout cela n’est que rêverie. Revenons aux choses sérieuses. Pour la deuxième année consécutive, Ludivine « vole de ses propres ailes », elle n’a pas accompagné ses parents, elle séjournera ici et là chez des amis, vivra le sel de  rencontres fortuites, mais surtout elle fuira ces mœurs embourgeoisées consistant à contempler une ligne d’horizon immobile et des châteaux de sable qui se délitent sous l’avancée des flots.

Les mœurs embourgeoisées. Peut-être sont-elles préférables à des attitudes de sauvages.

Il pense aux antivax, aux antipass et autres covido-sceptiques, aux dernières bouffées de protestation. On a le droit d’exprimer des opinions, mais pas de se vautrer dans la honte. Il y a eu ces manifestations où les étoiles jaunes ont été sorties du placard des horreurs. Et ces actions qui ressemblent fortement aux méthodes fascistes des années 20 : intimidation, menaces de mort, saccages… Là aussi, les remparts de sable ne peuvent rien contre l’imbécillité et l’ignorance. La somme des deux forme un cocktail répugnant.

Encore des idées noires sous le ciel d’argent

L’esprit vagabonde et cherche désespérément une actualité heureuse, le Festival de Cannes, par exemple.

Il l’a suivi en pointillé, mais a noté tout de même le palmarès. Le film Titane qui a reçu la Palme d’or se distingue, selon les critiques, comme « le film le plus trash et le plus dérangeant » du festival, « pas fait pour être compris, mais pour être ressenti ». Il a même été jugé « gore » en raison de la violence des scènes, provoquant, chez certains, évanouissement et vomissements durant sa projection.

Ressentir les images sans les comprendre. Xavier se sent confirmé dans son état de dinosaure. S’il va au cinéma, c’est pour se distraire – pas pour être dérangé, au propre comme au figuré – avec l’espoir de comprendre, au minimum, le scénario.

Sous l’emprise de telles pensées, et à l’amorce de cette journée qui s’annonce caniculaire, ses paupières luttent contre l’irrépressible envie de se fermer. 

Il va rejoindre Émeline dans sa parenthèse de songes, et ce sera un moment heureux de gagné contre ses tentatives éperdues de revenir à la raison.


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

26 juillet 2021

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