Chroniques vingt-et-unièmes — Dire ce que l’on pense —12 juillet 2021


 Dire ce que l’on pense


—  Le réchauffement climatique, on y est ! Tu as vu ce qui se passe : le dôme de chaleur en Amérique du Nord, la sécheresse à Madagascar, les tornades en République tchèque, les températures caniculaires en Sibérie, les inondations au Japon…

Xavier écoute la remarque de Sébastien. Il a réussi à le convaincre de transformer leur rituel combat d’échecs hebdomadaire en partie de dames. Son ami d’ailleurs était las de toujours gagner et peut-être s’ajoutait-il à cette lassitude la peur de se voir proposer un jeu de petits chevaux. Il hésite à répliquer et son ami insiste :

—  Et toi, tu n’en penses rien ? On joue ici tranquillement et pendant ce temps le monde s’écroule…

—  Si je te disais tout ce que j’en pense… finit par répondre distraitement Xavier.

Il est surtout concentré sur le jeu et veut éviter à tout prix que son adversaire fasse dame. Ils sont seuls dans le salon. Un bruit étouffé de fouet électrique s’élève de la cuisine. Une fois n’est pas coutume, c’est Ludivine qui prépare une surprise.

—  Tu ne vas quand même pas nier le réchauffement climatique, persiste Sébastien, tu ne fais pas partie des climatosceptiques à ce que je sache !

Sébastien aime pousser Xavier hors de sa « zone de confort », une expression qu’il affectionne mais que rejette son compagnon de jeu, hostile à tout ce qui se rapproche de près ou de loin à la novlangue que véhiculent les médias.

Xavier se redresse et semble tirer au plus profond de lui-même les arguments qui pourraient faire chanceler Sébastien, lequel excité par le café qu’il vient d’avaler est prêt à toutes les joutes oratoires :

—  Tu veux vraiment mon avis ?

—  Oui, j’aimerais l’avoir, d’habitude tu es plus bavard…

—  Si tu y tiens… En fait, il ne s’agit pas de nier le réchauffement climatique – il est réel – mais reste à déterminer la part exacte de l’homme dans ce phénomène. Car des réchauffements et des refroidissements de la planète ont existé régulièrement dans le passé. Ce qui est nouveau, par contre, c’est la rapidité du phénomène. Et là, on sait que l’homme en est responsable. 

—  Je ne te le fais pas dire !

—  Mais ce n’est pas là-dessus que je veux insister, les conséquences du réchauffement climatique, ou ses supposées conséquences, viennent s’ajouter à des désordres causés là par l’homme, sans ambiguïté. Tu as cité le cas du sud de Madagascar où, à cause de la sécheresse, les habitants en sont réduits à manger des criquets ou des soupes faites de lanières de cuir – c’est horrible en passant. Or, Madagascar est un pays riche sur le plan des ressources naturelles et agricoles, avec une population relativement modeste par rapport à la superficie de son territoire. Mais depuis l’indépendance en 1960, le pays ne connaît que des crises : dictature, coup d’État, guerres civiles, dirigeants populistes, corruption, fraude électorale, en fait une instabilité politique permanente… Le pays est totalement désorganisé et le gouvernement ne vient même pas en aide aux populations touchées par la sécheresse. Dans un autre pays, cette sécheresse n’aurait pas conduit à ces conséquences.

—  D’accord, mais à Vancouver ? (Sébastien ne trouve rien à répondre à Xavier qui encore une fois vient de se livrer à une petite leçon d’histoire.)

—  Pour Vancouver et son « dôme de chaleur », c’est vrai qu’on  a atteint presque 50°C et on compte les morts par centaines, répond Xavier. Mais Vancouver est une ville qui fait avec son agglomération 2,5 millions d’habitants. Il est certain qu’il y a deux siècles, alors que la ville n’existait pas encore, cette canicule n’aurait pas eu le même effet…

—  Mais on ne peut pas empêcher les gens de créer des villes !

—  Tu as complètement raison mais il faut en accepter les conséquences, sauf à se prémunir des risques naturels. Autre sujet : on prévoit une montée des eaux de l’ordre de 50 centimètres à un mètre d’ici la fin du siècle. Ça paraît peu lorsqu’on sait que dans un passé lointain, la hauteur des océans a varié de plus ou moins cent mètres en fonction des réchauffements et des refroidissements successifs. Mais aujourd’hui, cette montée entraînerait une masse énorme de « réfugiés climatiques », comme on dit,  vivant sur les côtes. C’est sûrement juste mais je voudrais rappeler qu’actuellement 70 % de la population mondiale vit à moins de 60 kilomètres de la mer, et ça ne fait qu’empirer. Ce n’était pas du tout le cas avant. Jusqu’au XIXe siècle, la mer a toujours été considérée comme un élément hostile, une source de danger, à cause des tempêtes, des risques de submersion, du grignotage des côtes, mais surtout des razzias des pirates et des invasions. Les habitants avaient plutôt tendance à fuir le littoral et à se réfugier sur les hauteurs. C’est exactement l’inverse aujourd’hui : la mer est une source de nourriture avec la pêche mais surtout de plaisir et de bonheur,  et elle apparaît comme le cadre de vie parfait. Là aussi, nous en subissons les conséquences : on a totalement oublié que c’était un endroit inamical. Et je peux encore te citer la fonte du permafrost en Sibérie…

—  C’est tout ?

—  Non, ce n’est pas tout. On a pu prouver que l’élimination par l’homme des animaux qui vivaient dans ces contrées – je pense notamment à la zibeline et d’autres petits animaux à fourrure qui ont été exterminés pour leur peau – accélère le phénomène de dégel pour diverses raisons. On songe même à y réintroduire le mammouth laineux par clonage pour freiner le phénomène…

—  C’est encore de la folie, s’exclame Sébastien. 

Mais Xavier, imperturbable, continue :

—  Et beaucoup plus près de nous, il y a le problème des inondations à répétition. Dans les villes touchées, on parle souvent, selon les témoignages des victimes, d’une « vague » qui a tout emporté. Mais la plupart du temps, cette vague est due à un barrage de bois mort et de déchets de toute nature qui a cédé sous la pression des eaux. Parce qu’on n’entretient plus le lit et les berges des rivières comme autrefois. En gros, ils sont souvent obstrués par des déchets et remplis de sédiments, ce qui fait qu’ils ne remplissent plus complètement leur rôle. 

» Donc, réchauffement climatique, oui, mais il est amplifié par d’autres phénomènes qu’on pourrait facilement corriger. Ça, c’est la bonne nouvelle.

—  Si on veut…

—  Et j’ai un autre exemple dans le même genre. Là il s’agit d’un phénomène naturel indépendant du réchauffement climatique mais qui illustre bien ce que je viens de dire. Tu te souviens sûrement de l’éruption il y a une dizaine d’années d’un volcan en Islande qui a bloqué le trafic aérien d’Europe pendant une semaine…

—  Oui,  un truc imprononçable…

—  L'Eyjafjöll si je prononce bien (Sébastien soupire mais ce n’est pas de nature à interrompre le flot de paroles de Xavier.) On a parlé d’une catastrophe économique. Et pourtant, ce n’était pas la première fois que le volcan se réveillait. La précédente éruption remontait aux années 1820 mais à l’époque, l’aviation n’existait pas. À part quelques conséquences climatiques, cette éruption a dû passer inaperçue.

» En fait, ce que je veux dire, c’est que la cause de tous ces problèmes est la hausse vertigineuse de la population terrestre ces dernières décennies.

—  D’accord mais on ne va quand même pas tuer les gens ! s’exclame Sébastien.

—  Évidemment mais pense que pendant un millier de siècles, au paléolithique, la population humaine, celle des Homo sapiens, s’est maintenue autour d’une centaine de milliers d’individus, et peut-être même moins au plus fort de la dernière période glaciaire. Et puis, il y a dix mille ans, avec le début de la sédentarisation, on assiste à un boom démographique. Sur ces dix mille ans, on passe ainsi de 100 000 habitants sur la terre à presque 8 milliards aujourd’hui. L’empreinte écologique, forcément, n’est pas la même. Et c’est quand même un prodige que l’homme ait réussi à assurer la subsistance de toute cette population même s’il en reste encore une fraction qui ne mange pas à sa faim. Ça, on oublie toujours de le dire.

Effectivement, Xavier pense des tas de choses sur tous ces sujets, Sébastien s’en rend compte, il n’aurait pas dû appuyer sur le bouton qui a lancé la diatribe, car dans un geste théâtral accompagnant sa dernière phrase, son ami a renversé le damier où il s’apprêtait à conclure.

—  On continue ? fait Xavier.

—  On recommence, plutôt…


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

12 juillet 2021

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