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Chroniques vingt-et-unièmes — Un pays étrangement immobile — 4 octobre 2021

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  Un pays étrangement immobile Une certaine fébrilité habite les couloirs de Jussieu en pleine période de rentrée universitaire. On cherche à résoudre l’éternel problème de locaux. Car les généreux résultats du bac poussent, année après année, de plus en plus de candidats en licence. Heureusement, le professeur Marcus laisse ces tâches ingrates à d’autres, absorbé qu’il est dans son bureau à faire le point sur les doctorants qu’il supervise. Certains n’ont plus donné signe de vie depuis des mois, ayant peut-être rejoint, sous la pression de l’épidémie, d’autres sphères de préoccupations. Il ignore si cette rentrée universitaire sera paisible ou non, mais il pencherait plutôt pour un calme relatif. Comme un exercice de folklore imposé, la rentrée en France obéit à une tradition ancrée. Depuis son enfance, dans la touffeur de l’été, il entend avec une stupéfiante régularité annoncer un « automne chaud ». Celui-ci, in fine , l’est plus ou moins, et l’événement, se reproduisant avec une te

Chroniques vingt-et-unièmes — Éviter la catastrophe — 27 septembre 2021

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  Éviter la catastrophe On a célébré les cinquante ans d’Émeline, une étape qu’elle a prise avec philosophie. Comme toujours, elle souhaiterait avoir dix ans de moins mais elle sait que dans dix ans, la même pensée l’habitera. Alors autant s’accommoder du présent avant de le regretter. Le temps était clément et on a pu dresser la grande table dans le jardin pour accueillir la famille et les amis, dont certains qu’elle et Xavier n’avaient pas rencontré depuis le début du confinement. Au début, les conversations furent un peu crispées, les mots semblaient en apesanteur. Planait sur l’assistance le sujet que chacun évitait de lancer le premier : la vaccination. Il y a ce constat qu’en famille ou entre amis, dès que ce thème est abordé, on peut se croire revenu au temps de l’affaire Dreyfus, entre « pour » et « anti ». Avec la peur de se retrouver dans la même situation que le dessin de presse de Caran d’Ache : « Ils en ont parlé ». Mais comme l’incontournable chenille qu’on se promet d’év

Chroniques vingt-et-unièmes — Question d'horizon — 20 septembre 2021

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  Question d'horizon Un week-end à la mer sous un vent qui se charge maintenant des métamorphoses de l’automne. Pas un week-end de détente. Pour Hamid et Houessou, la mer reste une masse sombre et épaisse, un mur mouvant de séparation entre souffrance et espoir. Le premier l’a découverte entre les côtes de Turquie et l’île de Lesbos, avec trente autres migrants sur un fragile zodiac sorti d’une décharge et rafistolé de toutes parts. Un voyage au-delà des cauchemars.  Le second s’était seulement frotté à sa vue sur la grève de Porto-Novo, sans s’y aventurer. Embarqué en Libye, il a dû, lui aussi, affronter le monstre jusqu’à Lampedusa. Ce sont des chemins qu’on ne peut oublier, qui tissent des souvenirs communs et des liens. Ils ont mutualisé leurs maigres fonds afin de se payer les sandwichs et Flixbus. Pour quatre-vingts euros aller et retour, le car les a menés jusqu’à Dunkerque. De là, un entrepreneur du bâtiment les a convoyés en stop pour les déposer non loin de la « Jungle »

Chroniques vingt-et-unièmes — Le consensus — 13 septembre 2021

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  Le consensus La rentrée politique s’accélère malgré l’été qui paresse.  Jean-Bernard est toujours rigoureux dans ce qu’il entreprend. La raison en est peut-être l’éducation rigide qu’il a reçue dans un internat ainsi que son parcours militaire. Avant de conforter ou de détruire l'idée naissante qu’il a de son possible champion pour l’élection présidentielle, il tient à examiner et à évaluer les professions de foi de tous les candidats. Pour en parler à Élise et, pourquoi pas, à Quentin qu’il parviendra peut-être à détourner de sa conviction de ne pas voter (sous influence, sans doute, de cette chipie de Ludivine).  Il a pour cela ouvert un registre afin d’y noter les déclarations et les « petites phrases ». Mais le spectre est large et il convient de procéder par ordre. En tête figurent les deux favoris que tous les sondages, pour l’instant, donnent présents au second tour si celui-ci avait lieu demain : Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Le président en exercice n’a pas encore fa

Chroniques vingt-et-unièmes — Apaiser la discussion — 6 septembre 2021

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  Apaiser la discussion —  Ce pinot gris, en cette fin d’été, me semble tout à fait approprié pour accompagner ce sublime soufflé aux pommes, murmure Xavier en levant son verre. Sébastien acquiesce en silence, le soufflé aux pommes, il ne s’en lasse pas, et Romane s’est encore surpassée. C’est une spécialité héritée de sa grand-mère et dont elle ne divulgue la recette qu’avec parcimonie, « aux gens de confiance seulement ». Et rien ne remplace ce vin d’Alsace, qu’il vient de servir bien frais, pour le mettre en valeur.  La journée a été belle, les deux hommes en ont passé une large fraction à enchaîner des parties d’échecs dans le jardin, des parties de retrouvailles après deux mois d’interruption, et cette fois-ci, ce qui n’est pas courant, au domicile de Sébastien.  Xavier poursuit : —  Tu l’as très bien choisi. Ni trop sec, ni trop moelleux, il est le parfait équilibre du vin blanc. Il était connu avant sous le nom de tokay, rien à voir avec le vin hongrois du même nom, trop liquore

Chroniques vingt-et-unièmes — Subir — 30 août 2021

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  Subir Comme tous les ans à la mi-août, le professeur Marcus est allé passer quelques jours à la Cité de l’espace à Toulouse, à l’invitation renouvelée d’anciens condisciples. C’est la période propice pour traquer les perséides, ces débris plus ou moins importants échappés de la comète Swift-Tuttle qui en rencontrant l’atmosphère de la Terre provoque ces « pluies » d’étoiles filantes. Mais il ne s’est pas contenté d’observer les météores. Sur place, on a beaucoup discuté dans la petite communauté spatiale des projets à venir. Et celui qui retient l’attention de tous est le lancement depuis Kourou du télescope orbital James-Webb , fruit d’une collaboration internationale, dans le courant du mois de novembre prochain si tout va bien. Et au fil des anecdotes, des questions et des réponses, on a bien sûr évoqué les figures des deux astrophysiciens suisses Michel Mayor et Didier Queloz sans qui, indirectement, James-Webb n’aurait certainement jamais vu le jour. Marcus connaît bien Michel

Chroniques vingt-et-unièmes — Des problèmes sans solution — 23 août 2021

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  Des problèmes sans solution Hasard sans doute du calendrier en ce jour de célébration chrétienne, les talibans ont pris Kaboul un 15 août, ou plutôt sont entrés comme à la parade dans Kaboul, déclarée ville ouverte sans le dire, à l'instar de la plupart des capitales provinciales qu’ils ont conquises les unes après les autres. Un événement majeur selon la presse occidentale, horrifiée du retour à des temps obscurs, un sentiment que partagent évidemment les populations civilisées nourries aux droits de l’homme, et surtout à l’émancipation de la femme.  Émeline en fait partie et elle a suivi heure par heure sur les chaînes d’info en continu – qui savourent là leur raison d’exister – la tragédie, probablement sensibilisée par le cas d’Hamid, son protégé et réfugié afghan, qui n’a plus aucune nouvelle de sa famille. Elle revoit en boucle les candidats au départ qui s’entassent à l’aéroport, les désespérés accrochés aux carlingues des avions qui décollent, les soldats américains qui l

Chroniques vingt-et-unièmes — Le vrai débat — 16 août 2021

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  Le vrai débat 18 heures à la gare de l’Est. Un samedi, de surcroît. Ce n’est pas le moment idéal avec les défilés antipass. Malgré un vent frais de nord-ouest, l’air garde la trace  du nitrate de potassium des fumigènes et, en retour, celle du chlorobenzylidène des lacrymos, car des manifestants ont exprimé le désir de faire une pause sur le parvis avant de reprendre l’asphalte du boulevard Magenta qui mène à la place de la République. D’autres déjà rentrent chez eux, certains en famille, se méfiant des black blocs, craignant certainement les dérapages qui accompagnent les fins de rassemblements.  Xavier les côtoie alors qu’il emprunte le quai pour attraper l'omnibus qui doit le conduire à Meaux chez sa tante et marraine où il va passer la nuit. Une tradition, tous les trois mois environ, qu’il entretient depuis une dizaine d’années, parce qu’il sait que le temps n’a pas envie de s’arrêter, parce qu’il faut égrener les souvenirs de famille qui s’effilochent, bribe par bribe, avec