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Chroniques vingt-et-unièmes — Être maître de son destin — 19 avril 2021

  Être maître de son destin L’hebdo est posé bien en évidence sur la table à apéritif du salon. Jean-Bernard est sûr que c’est son fils Quentin qui a voulu l’exposer à sa vue. C’est un message qui lui est adressé. Parce que, dans la maison, à quelle autre personne pourrait-il être adressé ? Élise est imperméable à toute discussion pouvant entraîner des désaccords avec ses enfants, ce qui limite terriblement les sujets de débats, alors que Vanessa passe sa vie, encore courte heureusement, à répéter des chorégraphies pour TikTok . Il soupire et parcourt rapidement l’article marqué d’une croix. Vincent Duclert, président de la commission sur le génocide rwandais constituée par Emmanuel Macron pour lever le doute sur les accusations portées sur la France depuis des décennies, a posé le diagnostic suivant : « La faillite de la politique française au Rwanda a effectivement contribué aux conditions d'un génocide ». Il précise par ailleurs dans une interview que « la France est restée dans

Chroniques vingt-et-unièmes — Émotion ou fantaisie ? — 12 avril 2021

  Émotion ou fantaisie ? Le professeur Marcus hésite – il doute, même – et bien que le doute fasse partie de sa raison d’avancer de nuit sur la route mal pavée de la vie, voire tout simplement d’exister, il n’aime guère être confronté à ce genre de situation. Doit-il présenter le dernier livre de Bruno Fuligni, La fille de Napoléon , à la prochaine séance du Liber Circulo ? Est-ce un canular ou le récit vrai d’une femme, Charlotte Chappuis, qui a cherché à faire reconnaître son illustre naissance ? De quoi s’agit-il ?  Cette Charlotte Chappuis serait la fille aînée et non reconnue de Napoléon Bonaparte, conçue lors d’un moment de faiblesse avec une demoiselle Antoinette Cattin dans la ville d’Auxonne en 1794. Charlotte serait apparue au grand jour après la Restauration pour faire valoir ses droits, ou du moins pour que son origine prestigieuse soit reconnue, ce qui lui aurait valu l’emprisonnement à plusieurs reprises. S’enchaîne ensuite une vie rocambolesque. Elle serait à l’origine

Chroniques vingt-et-unièmes — Développer des nouveaux critères de progrès — 5 avril 2021

  Développer des nouveaux critères de progrès Une large tunique qui lui tombe sur les genoux, un jean lacéré et court découvrant ses chevilles, les pieds nus dans ses baskets, le vent taquine ses mèches alors qu’elle traverse avec Quentin le parc André Malraux de Nanterre. Ludivine se sent libre dans cette tenue qui dérobe les formes au regard, sa tenue de tous les jours, conforme – sans être imposée – avec celle que portent tous ses condisciples féminins (tiens d’ailleurs, pourquoi ce mot n’existe pas au féminin ?), tenue imposée par la « domination patriarcale » qui gangrène le monde depuis des dizaines de millénaires. Une tendance vestimentaire évoquée – pour d’autres raisons – par Michel Houellebecq dans Soumission, que l’on considérait à l’époque comme de la science-fiction. C’est en tout cas sa conviction profonde et cela la remplit d’exigences. Bien sûr, son père est loin d’adhérer à cette théorie. Elle se rappelle mot pour mot sa dernière tirade : « Alors que nous évoluons dans

Chroniques vingt-et-unièmes — Pourquoi des réponses ? — 29 mars 2021

  Pourquoi des réponses ? Le silence de la forêt est l’endroit propice pour retrouver, dans une lumière haletante, la sérénité, surtout quand on vient, comme Xavier, et selon une habitude maintenant ancrée, de perdre deux parties d’échecs. Suivant l’exemple de la dernière fois, il y a entraîné Sébastien après la défaite et respire de tout son saoul l’air chargé d’humus des sous-bois. Ils parlent peu dans l’épaisseur feutrée des ramures qui les entourent, comme expurgés furtivement de leur époque, et puis, parvenus à une clairière, Sébastien rompt ce moment paisible. Ayant quelque argent à placer à la suite d’un héritage, et fidèle à ses convictions, il songe à de l’« investissement socialement responsable », que les banques, dans une œuvre purement rédemptrice ou suivant l’air du temps, proposent avec force en ce moment. Il prend conseil auprès de Xavier qui suggère :  —  As-tu pensé au bitcoin ? Sébastien lève la tête : —  Tu plaisantes… Je regarde la cime de ces arbres et comme dit l

Chroniques vingt-et-unièmes — Croyances et recommandations — 22 mars 2021

  Croyances et recommandations La file d’attente s’allonge devant le laboratoire. Celui-ci n’ouvre qu’à 9 heures mais Émeline a préféré s’y présenter une demi-heure avant. Peine perdue : trente personnes attendent déjà pour ce fameux test PCR. Chacun se plie au protocole, attend sagement en remplissant le questionnaire, ce qui prend cinq bonnes minutes : l’identification complète, les raisons du test et, pour finir, une information sur les « dangers éventuels ». La raison d’Émeline est simple : elle doit rendre visite le lendemain à sa tante dans un Ehpad du Blésois qui exige un résultat négatif du test. Un parcours du combattant qui peut ressembler à une impasse. Car le test demandé doit dater de moins de 48 heures alors qu’elle n’est pas sûre d’en obtenir le résultat dans la journée et qu’elle n’est pas libre le surlendemain… Les autres personnes, d’après les chuchotements qui lui parviennent, se font tester pour des motifs professionnels, la plupart travailleurs indépendants ou titu

Chroniques vingt-et-unièmes — On ne choisit pas son âge — 15 mars 2021

  On ne choisit pas son âge —  Vous avez vu pour Danone ? Pour une fois qu’on avait un PDG qui ne pense pas qu’au fric ! —  Tu fais allusion à Emmanuel Faber ? répond Xavier. Il a levé la tête de sa tablette devant l’indignation de Ludivine qui, mèches en bataille et encore légèrement humides après le séchoir, vient de rejoindre la table de petit-déjeuner. —  Bien sûr. Xavier hoche la tête : —  Oui, c’est malheureux pour Emmanuel Faber. C’est vrai qu’il a eu le courage de donner à Danone le statut de « société à mission », la seule du CAC40, avec des objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux. Mais l’action a perdu 30% de sa valeur en dix-huit mois… —  Mais on s’en fout de la valeur de l’action ! rugit-elle. —  Tout dépend de ce qu’on recherche. La stratégie d’une entreprise, c’est, en théorie, un équilibre entre l’aspect commercial, financier et social. Il semble que l’équilibre mis en place par Faber n’ait pas convenu aux actionnaires. Alors on peut, pour se soulager, crier sur

Chroniques vingt-et-unièmes — Morale du temps et de l’espace — 8 mars 2021

  Morale du temps et de l’espace Une séance du samedi après-midi au Liber Circulo, organisée en journée, couvre-feu oblige. Cinq personnes déjà : le professeur Marcus évidemment, le fondateur du club littéraire ; Louis, son collègue de Jussieu ; et puis Guillaume, Elsa et Damien. On attend encore Ludivine et trois autres membres. Marcus prépare la table où va se dérouler la discussion qui suivra l’examen d’un livre (aujourd’hui, La Sainte Touche de Djamel Cherigui, épicier de son état à Roubaix mais jeune écrivain prometteur, qui s’est lancé dans la douleur et avec succès dans un premier roman). Elsa, gérante d’une galerie dans une rue adjacente des Champs-Elysées, s’interroge sur un mouvement émergent qui voudrait rendre indissociable l’œuvre artistique de son auteur. Elle se sent directement concernée, citant Polanski et la polémique suscitée par le César reçu pour son J’accuse . Mais aussi les prises de position à propos de Balthus. Des avis partagés, on s’en doute. Louis  et  Dami

Chroniques vingt-et-unièmes — Peut-être qu’avec l’habitude… — 1er mars 2021

  Peut-être qu’avec l’habitude… Le froid est moins intense. De la Goutte d’Or, Hamid remonte le boulevard de la Chapelle vers le métro Stalingrad où sous une tente va bientôt se tenir une distribution de soupe. Étape indispensable. Même s’il est employé occasionnellement pour quarante euros par jour, et sous le manteau, à éplucher des légumes dans un restaurant qui pratique la vente à emporter, ce n’est pas suffisant. La sous-sous-location d’un compte Uber Eats lui rapporte aussi quelques ressources. Mais à la ville, il y a forcément des dépenses. Et il veut pouvoir se payer une fois par semaine une chambre à l’hôtel pour s’offrir une toilette complète. Le reste du temps, il lui reste pour dormir la nuit les porches d’immeuble ou les devantures de magasin, enroulé dans trois couvertures offertes par Émeline. Car il fuit les regroupements dans les squares ou sous le périphérique. Trop de trafics, trop de violences parmi une population venue trouver un Éden qui se dérobe chaque jour. Il